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FEU BRESSIER.

est si près de la rivière et de la riche végétation qui couvre ses bords !

« Ma tante, à vrai dire, n’était pas tout-à-fait tranquille sur son bracelet ; moi-même, par momens, j’aurais mieux aimé qu’il n’eût pas aussi bien connu la valeur réelle de ce bijou. Enfin, le lendemain, nous étions avant l’heure chez le vieux batelier ; Louis n’était pas arrivé ; ma tante regardait souvent à sa montre. Le père Leleu commençait à paraître embarrassé, il sortait de temps en temps de ce qu’il appelle sa maison pour regarder sur la rivière, et aussi pour ne pas être avec nous, à qui il ne savait que dire. Tout à coup, il rentra en nous disant : — Le voilà ! — Nous sortîmes de la cabane. Mais ce qui, pour les yeux exercés du père Leleu, était Louis, n’était pour nous qu’une sorte de tache noire, encore assez loin, qui remontait le courant de la rivière.

— Êtes-vous sûr que ce soit lui ? demanda ma tante.

— Un enfant le reconnaîtrait, répondit le père Leleu. Tous nos bateaux sont verts, et le sien est noir ; d’ailleurs, il n’y a ici que lui qui marche à la voile.

« En effet nous commencions à distinguer que le bateau portait une sorte de voile brune triangulaire qui de loin le faisait ressembler à un grand cygne noir.

« Quelques instans après, nous reconnûmes Louis qui fumait insoucieusement, assis ou plutôt couché à l’arrière de son bateau ; mais, quand le bateau arriva à toucher le bord, je fus frappée de son extrême pâleur.

— Qu’avez-vous, Louis ? demanda le père Leleu, comme vous êtes pâle, et comme vos vêtemens sont mouillés !

— Ce n’est rien, répondit le pêcheur, c’est que je suis tombé dans l’eau.

— Vous aurez sans doute eu peur ? lui dit ma tante.

« Je ne lui aurais pas dit cela, ma bonne Caroline.

« Il ne répondit que par un sourire.

— Lui ! s’écria le père Leleu, il nage comme un requin, et ça lui est parfaitement égal d’être sous l’eau ou sur la terre ; il y a même un vieux pêcheur qui m’a dit qu’il vivait mieux sous l’eau, mais je n’en crois rien.

— Et vous avez bien raison, père Leleu, — répondit Louis. Il descendit à terre. Après avoir éteint sa pipe et l’avoir laissée sur le bateau, il s’approcha de nous ; il nous salua avec une grace naturelle que les gens du monde acquièrent bien rarement, puis il dit à ma