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FEU BRESSIER.

manquait aux yeux de ma vanité va venir me l’enlever. Je n’ai pas su comprendre que le plus grand bonheur est de faire un sacrifice à celui qu’on aime, et qu’en amour c’est celui qui reçoit qui est généreux ; mais quel sacrifice avais-je à lui faire ? Quelle est donc ma position ? Une fille pauvre qui ne diffère des filles du peuple que parce qu’elle gagne au prix de cent humiliations le pain que ces filles peuvent gagner fièrement de leur travail.

XXII.

Mélanie évita sa tante jusqu’au jour fixé pour la promenade dans l’île de M. de Wierstein. Elle sentait contre elle des mouvemens qui ressemblaient singulièrement à la haine. Quand on fut sur le point de partir, Mme de Liriau avisa que Mélanie avait une robe qui faisait admirablement ressortir la plus charmante taille du monde.

Elle prit son air le plus caressant et lui dit :

— Mon Dieu ! quelle robe as-tu là, Mélanie ?

Mélanie. — Mais, ma tante, une robe que vous avez vue trente fois.

Arolise. — Mais tu mourras de froid avec cela.

Mélanie. — Oh ! ma tante, il fait si chaud !

Arolise. — Tu sais bien que c’est le soir que se fait la promenade.

Mélanie. — Je mettrai un châle.

Arolise. — Non, non, je serais dans une inquiétude mortelle.

Mélanie. — Vous êtes trop bonne, ma tante, mais avec un châle…

Arolise. — Il faut absolument que tu mettes une robe ouatée. Comment, d’ailleurs, as-tu pu, pour une partie de campagne, choisir une robe qui, outre qu’elle est froide, doit te gêner horriblement ?

Mélanie. — Au contraire, ma tante, elle est horriblement large.

Mélanie répondait ce que répond toute femme à laquelle on dit qu’elle est serrée. Du reste, elle tenait à garder sa robe, précisément parce que sa tante voulait qu’elle en changeât.

— Tenez, ma tante, dit-elle en s’enveloppant dans un châle épais, croyez-vous que j’aurai froid comme cela ?

Arolise. — C’est peut-être une folie, mais je ne suis pas maîtresse de mes inquiétudes. Cette promenade n’aurait aucun charme pour moi si je devais sans cesse frémir pour ta santé, et j’aimerais mieux me priver du plaisir que j’en attends.

Mélanie comprit qu’il fallait obéir ; elle se déshabilla et prit un autre costume. Elle n’osa pas remarquer tout haut que sa tante, qui