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FEU BRESSIER.

Le bateau glisse sur l’eau, mais bientôt Louis cesse de ramer et se contente de tenir sa chaloupe dans le courant.

— Avouez, Louis, dit Arolise, que vous auriez bien pu prendre M. de Lieben ?

— Peut-être, madame, répondit Louis ; mais je risque beaucoup pour vous, et je ne veux le faire que pour vous.

— Mais comme nous allons doucement ! remarqua Mme de Liriau.

— C’est que je ne veux pas arriver à l’île avant la nuit ; on nous verrait.

— Ô mon Dieu ! mais à quelle heure reviendrons-nous ?

— À l’heure que vous ordonnerez, madame ; le vent est encore aujourd’hui favorable pour le retour ; il ne faudra que quelques minutes pour vous ramener chez vous.

— Mais toutes deux seules, la nuit… Il faut que nous ayons bien confiance en vous, Louis.

— Mélanie, dit-elle bas à sa nièce, je suis sûre maintenant que c’est M. de Wierstein.

À ce moment, on passait devant la cabane de la fermière dont le pêcheur avait sauvé l’enfant ; Mme de Liriau parla pour la première fois à Louis de ce trait d’humanité, mais avec des paroles ampoulées et exagérées. D’abord Louis parut recevoir ses éloges avec plaisir, mais bientôt il devint sérieux, il leva sur elle un regard pénétrant ; il était visiblement agité.

À force de remuer des mots, Arolise en trouva quelques-uns qui le touchèrent. — Ah ! madame, dit-il, que ne ferais-je pas pour mériter de vous de semblables paroles !

Heureusement pour Mélanie qu’il faisait nuit, elle n’aurait pu cacher sa pâleur et les larmes qui s’échappaient de ses yeux ; un moment elle eut envie de se jeter dans la rivière. Les yeux de Louis, supplians et amoureux, avaient rencontré ceux d’Arolise, qui ne s’étaient baissés qu’après l’échange d’un de ces traits de flamme qui percent les enveloppes du cœur pour y déposer une sainte promesse.

— Après tout, se dit l’ame de feu Bressier, si elle l’aime, ce sera un beau couple ; j’aurais mieux aimé l’autre, mais je n’ose déjà plus être si difficile. Me voici à la fin de l’été, et je commence à croire qu’il n’est pas commun de rencontrer deux bouches qui se joignent par amour et rien que par amour. Seulement, j’ai bien peur qu’Arolise n’aime le pêcheur que depuis qu’elle le croit M. de Wierstein, c’est-à-dire le possesseur d’une immense fortune et l’un des hommes les plus recherchés dans le monde.