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LES ÉTATS DE LA LIGUE.

avait l’assentiment d’une très notable partie de la France, dont il serait bon de tenir compte ; quelques mois après, il avait l’unanimité.

L’élection des députés n’avait pu se faire régulièrement, on le conçoit, au milieu de ces luttes civiles et dans la division des partis. D’ailleurs l’enthousiasme pour la ligue, qu’on avait vue à l’œuvre, commençait à diminuer singulièrement dans les provinces. La victoire, sans compter le bon droit, semblait, même aux yeux des plus aveugles, réserver des chances au Béarnais. De plus, on était harassé de la guerre. C’est sous l’empire de ces préoccupations nouvelles, et surtout du désir de la paix, que s’étaient accomplis un certain nombre de choix. Mayenne avait, en cette occasion, développé une activité qui ne lui était pas habituelle ; il voulait ôter toute couleur tranchée à ces élections, il voulait une chambre terne, insignifiante, peu décidée. Le succès couronna ses efforts. Beaucoup de villes, ruinées par les troubles, refusèrent de donner des indemnités à leurs délégués ; beaucoup de députés, de leur côté, après de si longs retards et la première ardeur dissipée, ne voulaient pas se risquer à travers les armées ennemies pour courir les chances d’une révolution, et prendre part à des votes compromettans qui pouvaient engager l’avenir.

Il se passa d’ailleurs dans les provinces, à cette occasion, plus d’une scène curieuse que la publication de M. Bernard fait pour la première fois connaître. Comme partout, il y avait les hâtés et les tardifs. Quelques députés, par exemple, au premier bruit de la convocation des états à Reims, s’empressent aussitôt et accourent ; c’est peine perdue, les mois se passent, et de jour en jour l’assemblée se trouve remise. Cependant la nécessité de deniers peu à peu se fait sentir, et il faut vivre d’emprunts ; le corps municipal de Reims, qui savait son jeu, ne manque pas de mettre à profit la circonstance. On appelle un notaire, et deux cents écus sont aussitôt prêtés à ces pauvres précurseurs des états, mais à la condition expresse qu’ils obtiendront du duc de Mayenne trois nouvelles années de la ferme du vin au profit de la commune. Ce n’était pas si mal calculé. Ailleurs, ce sont des précautions et des défiances réciproques : les députés de Troyes, qu’on ne veut pas laisser partir avant de savoir où se réunira l’assemblée, et qui refusent à leur tour de se rendre à leur poste sans une bonne escorte et cinq cents écus, qu’on dut emprunter. C’était le bon temps, comme on voit. Dans ce seul bailliage de Troyes, les deux députés du tiers coûtèrent deux mille trois cents écus.

Telles étaient les mœurs électorales du XVIe siècle : alors l’électeur payait l’élu ; de nos jours l’élu paie l’électeur. Les rôles sont changés ; évidemment, c’est un progrès démocratique, car le plus petit a grandi et profité. On trouvera donc là matière à plus d’un rapprochement piquant. Ainsi la belle doctrine du mandat impératif, qu’on croyait être une invention de M. de Genoude, a ses antécédens, peu monarchiques, il est vrai, dans les élections de la ligue. M. Aug. Bernard a publié, d’après les archives de plusieurs villes, les curieuses instructions données aux élus par quelques municipalités. C’est une sorte de réveil impuissant de l’insurrection communale du XIIe siècle.