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riode où la calomnie lui attribue le Vicaire des Ardennes, Annette ou le Criminel, l’Israélite, etc., nous dirons que, de 1821 à 1829 (je crois que c’est là le laps de temps renfermé dans cette période), M. de Balzac a publié une infinité de livres dont les noms nous sont entièrement inconnus. Cette complète, cette impénétrable obscurité, au sein de laquelle il s’est débattu pendant de si longues années, ne fait que mieux comprendre la joie mêlée de vertige qu’il dut éprouver en voyant enfin la lumière arriver à lui. Mais avant de suivre M. de Balzac dans ses périlleuses entreprises, sachons quelle était en 1834, à l’époque où paraissait un des livres qui mirent le sceau à sa réputation, la fortune littéraire qu’il a, sinon perdue, au moins tellement aventurée.

La Physiologie du Mariage, les Contes drolatiques, la Peau de Chagrin, plusieurs volumes des Scènes de la Vie privée, Eugénie Grandet et le Médecin de Campagne avaient déjà été publiés. Ainsi le talent de M. de Balzac s’était montré au public sous toutes ses faces. Dans la Physiologie du Mariage et dans les Contes drolatiques, on trouva, non pas cette brillante et hardie débauche de jeune homme qui inspira de si éclatantes pages à M. Alfred de Musset, mais un libertinage sournois et railleur de moine qui piqua par sa nouveauté. La Peau de Chagrin, que M. de Balzac dédia à la mémoire de Rabelais, comme un fils des grasses campagnes de la Loire à son compatriote, n’offre point pourtant ces traits de malice graveleuse qui distinguent l’esprit du romancier tourangeau. On y remarque un caractère commun à presque toutes les productions de l’époque où parut ce livre ; on y sent l’action violente du souffle qui passa sur notre littérature après les trois bruyantes journées de 1830. C’est une œuvre écrite sous l’empire de ces sentimens presque puérils à force d’être exagérés, qui firent faire à des écrivains imberbes un si prodigieux abus des mots adultère, courtisane et orgie. Dans les Scènes de la Vie privée, M. de Balzac se forma cette fameuse clientelle de femmes de trente ans qui lui attira tant de plaisanteries ; il créa un marivaudage sentimental et philosophique auquel je préfère de beaucoup pour ma part le marivaudage de Boufflers dans son charmant conte de Ah ! si… Toutefois, au milieu des prétentieuses afféteries de style et de pensée qu’on y rencontre à chaque instant, ces récits offrent pour la plupart un véritable mérite d’études intimes, et il en est un, l’Histoire intellectuelle de Louis Lambert, qu’il est impossible de lire sans une véritable émotion. Mais ce qui valut à M. de Balzac les approbations les plus précieuses, ce fut