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encore Cornélie avait une certaine robe bleue montante qui lui donnait un air de pureté angélique, de sérénité sévère, et il refaisait une autre lettre.

X.

Pendant ce temps, l’ame de feu Bressier, qui, au commencement, trompée par l’idée qu’elle avait conçue de l’audace de Paul d’après la scène qui s’était passée sur le toit de chaume, avait cru ne pas devoir le quitter un instant dans la crainte de ne pas saisir le moment opportun pour rentrer dans la vie, l’ame de feu Bressier commençait à se permettre quelques distractions et à se livrer aux occupations des ames en disponibilité, occupations à quelques-unes desquelles j’ai consacré un chapitre au commencement de ce récit. Un jour qu’elle récoltait les graines dans les gousses des giroflées jaunes d’un jardin et qu’elle allait en semer quelques-unes dans les fentes du clocher d’une vieille église, elle vit l’église ornée comme pour une grande fête, des carrosses encombraient les rues voisines, les cochers avaient d’énormes bouquets ; toute une verminière de mendians de profession assiégeaient les portes et étalaient leurs plaies comme d’autres marchands étalent leurs marchandises ; l’orgue remplissait la nef d’une musique céleste : c’était une noce. L’ame de feu Bressier vit passer la mariée, qui était encore plus jolie que Cornélie ; elle se posa dans les fleurs d’oranger de sa coiffure. — Ma foi, pensait l’ame, je ne dois rien à Paul Seeburg pour que je lui sacrifie une si bonne occasion.

Mais, mon Dieu ! quel est le vieux singe qui se met à genoux auprès d’elle ? ce pourrait être son père. Elle ne l’aime pas, c’est impossible.

La malheureuse se vend pour ce luxe qui l’entoure, pour ces riches dentelles, pour ce carrosse qui l’attend à la porte.

Oh ! horrible prostitution, et la plus horrible de toutes ! On ose parler avec mépris d’une pauvre fille qui se vend pour avoir du pain ; et celle-là, parce qu’elle se vend plus cher, parce qu’elle n’y est pas contrainte par la nécessité, on la recevra dans le monde, on l’honorera, elle n’excitera que l’envie !

L’ame de feu Bressier s’échappa portée par la fumée des encensoirs. Cependant elle était fort impatientée des lenteurs de Paul Seeburg, elle ne voyait aucune raison pour que cela finît jamais.