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L’ANGLETERRE ET LE MINISTÈRE TORY.

Ainsi, de l’aveu même de lord Grey, quand l’alliance anglo-française était à son apogée, quand la France n’avait qu’à se louer des procédés de l’Angleterre, quand entre les deux peuples il n’existait d’autres rapports que ceux d’une bienveillance mutuelle, le gouvernement français n’avait pas cru pouvoir accorder le droit de visite tel que le gouvernement anglais le désirait. C’était donc, pour ce dernier gouvernement, un triomphe inespéré que d’obtenir tout ce qui avait été refusé en 1831, après la rupture de l’alliance, le lendemain du traité du 15 juillet, quand le souvenir récent d’une insigne trahison séparait les deux peuples, et irritait à juste titre la France contre l’Angleterre. Par le traité de décembre 1841, sir Robert Peel achevait brillamment l’œuvre commencée le 13 juillet de la même année par ses prédécesseurs. Il constatait l’entière résignation de la France et son désir de se replacer à tout prix dans le concert européen.

Malheureusement pour sir Robert Peel, entre la signature et la ratification du traité, les chambres françaises s’assemblèrent, et l’on sait comment le droit de visite y fut accueilli. Au jour fixé pour l’échange des ratifications, celle de la France ne vint donc pas, et le cabinet français se trouva, vis-à-vis du cabinet anglais, dans la singulière situation d’un débiteur qui a souscrit un engagement, et qui ne peut pas y faire honneur. En droit diplomatique, comme en droit constitutionnel, une telle situation n’a qu’une solution possible, la retraite du ministre qui a donné sa signature. C’est ainsi seulement que les gouvernemens représentatifs peuvent, dans leurs rapports avec les gouvernemens absolus, inspirer la confiance et parler avec autorité. C’est ainsi, d’un autre côté, que les chambres sont averties qu’un traité n’est point une simple loi, et qu’elles ne doivent rompre une convention signée qu’à la dernière extrémité, et quand les intérêts du pays sont grossièrement sacrifiés. Le refus de ratification, non suivi de la retraite de M. Guizot, était donc un fait grave, et qui pouvait, si le cabinet anglais l’acceptait, donner contre lui de fortes armes. Cependant, ni de la part de sir Robert Peel, ni de celle de lord Palmerston, il n’y eut rien qui indiquât un vif mécontentement. Pourquoi cela ? et comment l’Angleterre, d’ordinaire si susceptible, prit-elle avec tant de patience un acte qui devait la blesser dans son orgueil, tout en la frappant dans une de ses plus chères et de ses plus vieilles prétentions ?

À mon sens, l’explication est facile. Nul doute que sir Robert Peel n’ait regretté et ne regrette encore le traité que M. Guizot lui avait