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LA RUSSIE.

qui faisaient retentir l’air de leurs acclamations, et d’une quantité de femmes qui se précipitaient vers le rivage avec leurs robes de gaze et leurs guirlandes de fleurs. Si l’atmosphère de la cour et l’exercice du pouvoir n’altèrent pas son heureuse nature, le grand-duc promet à la Russie un souverain d’un noble caractère et d’une rare douceur. Hélas ! la France avait aussi un prince jeune, doué des plus belles qualités, de l’instruction la plus sérieuse, et respecté de tous ceux qui l’ont connu. Celui-là avait déjà fait ses preuves d’honneur et de courage ; celui-là avait vécu d’une vie d’études et d’expérience, d’une vie toute pleine de nobles pensées et de douces affections, Nous aimions à le voir s’élever au-dessus de nous, nous les hommes de son âge ; nous parlions de ses vertus avec orgueil et de son règne futur avec espoir. La mort nous l’a enlevé, et quand on a appris la nouvelle de cette affreuse catastrophe, qui a troublé l’Europe entière, et quand j’ai revu dans l’éclat de sa force et de sa jeunesse, le prince héréditaire de Russie, j’ai pensé à celui qui était naguère encore notre prince héréditaire, à ceux que sa mort livre à des regrets éternels, et j’ai détourné la tête avec douleur.

III.

L’industrie des bateaux à vapeur a pris depuis quelques années un grand accroissement dans le Nord, et nulle contrée ne doit mieux en apprécier les avantages que ces lointaines provinces de la Finlande et de la Scandinavie, isolées à l’extrémité de l’Europe, séparées l’une de l’autre par des bras de mer et des golfes, enfermées pendant plusieurs mois dans une barrière de glace. Le bateau à vapeur est le magicien béni qui abrége les milliers de werstes, qui rapproche l’une de l’autre ces peuplades dispersées sur un espace immense, qui apporte en quelques jours, comme par miracle, les richesses d’une autre terre, les fleurs du midi. Dans ce pays de rochers, de montagnes coupées par tant de fleuves, le chemin de fer est impossible, c’est le bateau à vapeur qui le remplace. Plusieurs bateaux à vapeur passent chaque semaine à Helsingfors, les uns allant à Stockholm, d’autres à Revel et à Pétersbourg. Ce sont de grands et beaux bâtimens construits en Angleterre ou en Amérique, et ornés avec luxe. Leur nom aristocratique annonce à la fois leur caractère imposant et les habitudes du pays auquel ils appartiennent ; l’un s’appelle le Grand-Duc, l’autre le Prince Mentschikoff ; un troisième, beaucoup plus faible et plus modeste, porte tout simplement sur sa poupe le nom de Helsingfors. Il s’en va de ville en ville, le long des côtes, et, si le vent et le courant ont quelque complaisance pour sa petite machine, il s’avance jusqu’à Viborg. Le 3 juin, j’allai m’embarquer sur ce bateau, et j’en parle avec reconnaissance, car il m’a fait faire un doux et heureux trajet. Rien de plus frais, de plus riant à voir, par un beau jour d’été, que les rives du golfe de Finlande, à partir d’Helsingfors. En longeant les côtes, on navigue sans cesse entre des bois et des collines dont les contours, les formes, les couleurs, va-