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GOETHE ET LA COMTESSE STOLBERG.

pour l’autre, on s’écrivait mille bagatelles qui nous font sourire aujourd’hui et qui charmaient. Du reste, tout cela n’empêchait pas d’aimer ailleurs ; si la pensée était prise, le cœur ne l’était qu’à demi, et les sens restaient libres ; et puis les vicissitudes de la passion formaient comme autant d’épisodes dont le roman s’embellissait. C’est à ce sentiment mixte, qui n’est après tout que le sentiment de Pétrarque pour Laure, dégagé du mysticisme du XVe siècle, que nous devons ces lettres de Goethe à la comtesse Auguste Stolberg, avec cette circonstance tout originale que Goethe et la comtesse Stolberg ne se connaissaient que par intermédiaires, et commencèrent, sans jamais s’être vus, une correspondance des plus intimes.

Goethe amoureux, il lui fallait nécessairement trouver quelque part une ame délicate et sympathique, toujours prête à recevoir les secrets de sa joie et de ses peines, ou plutôt l’aveu de cette alternative incessante où flottaient ses propres sentimens ballottés entre le doute et la foi en eux-mêmes. Sans un troisième personnage relégué en dehors de l’action, mais donnant son avis un peu à la manière des confidens de théâtre, le roman n’eût pas été complet. Or l’amour avec Goethe ne pouvait être autre chose qu’un roman, ayant son exposition, son intrigue plus ou moins compliquée, et son dénouement heureux ou malheureux, mais toujours prévu d’avance. La pauvrette assez faible pour se laisser prendre au piége mourra de douleur comme Frédérique, ou tentera de se consoler ailleurs par le mariage, comme cette Lili dont nous allons suivre l’histoire. Quant à lui, vous le verrez sortir de là frais et dispos, rapportant de son aventure un sujet de drame ou de poème. Goethe, en homme du XVIIIe siècle, n’a garde de perdre une si belle occasion de s’analyser lui-même ; dès le premier moment, il arrange toute chose pour que chez lui les facultés critiques soient tenues en éveil en même temps que les facultés sensitives. Pendant que le cœur agit, l’esprit observe, et l’observation, recueillie avec soin, est transmise ensuite à qui de droit. Voilà qui s’appelle procéder avec méthode et traiter la passion en philosophe. La sœur des deux Stolberg, la jeune comtesse Auguste, convenait à merveille au rôle que Goethe lui destinait dans son roman. Comme il ne s’agissait, après tout, ni de l’aimer ni de se faire aimer d’elle, l’ignorance parfaite dans laquelle ces deux êtres avaient vécu jusque-là l’un vis-à-vis de l’autre ne pouvait devenir un obstacle, et, le cas eût-il existé, l’imprévu, le curieux de l’aventure devait nécessairement tourner à l’avantage de Goethe. Qu’on se figure en effet ces témoignages d’attachement chevale-