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jamais ni vous ni les autres. Certaine dévotion laisse vivre le faux, et voilà pourquoi je la hais.

Et celui-ci, où reparaît, sous le ton du badinage, cette espèce de culte qu’il professait partout pour la jeunesse et la santé :

« Si quelque jolie fillette veut bien prendre souci de mon salut, son tendre cœur est déjà voué à l’amour. Quant aux remontrances que la veuve d’un prêtre me débite du coin de son poële, je n’y vois que vanité et chaos. — Je n’ai que faire de vos recommandations auprès du Sauveur, et l’homme sain le connaît mieux que les malades.

Cependant, en présence de la démarche de Stolberg, son impassibilité ordinaire perdit un moment contenance. Il faut croire que cette conversion lui causa quelque douleur, qu’il en fut même affecté aussi vivement qu’il pouvait l’être. Un soir, dans une société d’Iéna, les dames, qui venaient de lire l’Histoire de l’église de Stolberg, lui demandèrent son opinion sur cet ouvrage, alors fort en vogue, et dont la grave Allemagne se préoccupait au moins aussi ardemment que nous pourrions le faire du roman du jour : Goethe, jusque-là d’une humeur enjouée, fronça le sourcil dès qu’on le mit sur ce chapitre, et finit par donner pour toute explication qu’il fallait se méfier de semblables livres, bons seulement à fausser le jugement en matière divine et humaine et à vous inspirer des préventions qui, le plus souvent, influaient sur les plus simples actes de l’existence ; que, du reste, pour lui, il en avait horreur. On raconte qu’après cette sortie, qui avait paru lui coûter beaucoup, il devint de plus en plus morose et taciturne, et que, bien qu’il se trouvât au milieu d’un cercle de femmes spirituelles et causant volontiers, il n’y eut plus moyen, tout le reste de la soirée, de tirer de lui autre chose que des monosyllabes.

Du reste, cette amertume de cœur survécut chez lui aux évènemens. En 1820, l’impression subsistait encore assez vive pour lui dicter ces lignes, qu’il écrivait dans un de ses momens de retour sur le passé :

« La querelle entre Voss et Stolberg me toucha sensiblement, et donna lieu pour moi à plus d’une réflexion. — Il arrive dans la vie qu’après vingt ans de mariage, un couple, en secret désuni, demande la séparation, et chacun de s’écrier alors : « D’où vient que vous avez patienté si long-temps, et pourquoi ne point patienter encore jusqu’à la fin ? » Cependant un tel reproche est ce qu’il y a de plus injuste. Quiconque a pris la peine de peser dans toute sa valeur la condition grave et digne que le mariage constitue dans une société