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plupart réduits à ce métier par le besoin, la vanité, le goût du plaisir, le désordre. Quelques femmes s’y adonnent aussi dans des conditions analogues, pour couvrir de folles dépenses, pour se créer dans le monde une position que leur interdirait la médiocrité de leur fortune : elles y déploient de la finesse, de l’esprit d’intrigue, le génie de la curiosité ; mais, trop souvent dominées par de petites passions, elles méritent peu de confiance. Quelques agens cèdent à de dures nécessités : en 1831, la préfecture recevait les plus utiles révélations d’un jeune étudiant, fort intelligent, à qui un modique salaire ainsi gagné, souvent au péril de ses jours, permettait d’être le soutien d’une mère et d’une sœur, et de subvenir aux frais de ses cours. Certains renseignemens sont communiqués sous l’inspiration de sentimens honorables et désintéressés ; d’autres, en plus grand nombre, sous l’impression de la crainte. Des hommes timides se laissent enrôler dans un complot, dans une société secrète, par faiblesse, par entraînement, sans en peser les conséquences ; plus tard, la terreur les gagne, leur esprit se trouble ; se dégager de liens funestes serait un péril : ils n’osent les rompre, et achètent au moins l’impunité par leurs révélations. D’autres organisent des complots pour les dénoncer. Un préfet de police se trouva un jour fort embarrassé, confident qu’il était de cinq ou six chevaliers d’industrie qui se trahissaient mutuellement et ne s’étaient mis à conspirer ensemble que pour se procurer respectivement les profits d’une délation ; il connaissait les divers affiliés, entretenait des rapports avec eux, et tenait tous les fils du complot dont on aurait pu le croire l’ame et le chef. Il se borna à communiquer à chacun de ces Catilinas supposés les renseignemens fournis par ses prétendus complices.

En général, les services de police s’obtiennent à peu de frais. La concurrence est très grande, les consciences se tarifent à très bas prix. Chaque jour de nombreux candidats se présentent, et la correspondance est pleine d’offres de service.

Le préfet de police ne peut apporter trop de soin, trop de circonspection dans l’examen des documens fournis par ses agens ; les uns le trompent sciemment, d’autres, en plus grand nombre, apportent dans la composition de leurs rapports une extrême légèreté ; d’autres, ce sont les moins coupables, se bornent à des renseignemens vagues et sans intérêt. Une juste défiance doit s’attacher à tous : le rapport d’un seul mérite rarement créance, il doit être confirmé, contrôlé, vérifié à l’aide d’autres documens. Les circonstances doivent être pesées, le caractère de l’agent apprécié, sa situation, ses habitudes,