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REVUE MUSICALE.

Je ne sais quelle idée a passé par la tête à M. Donizetti, d’aller prendre pour sujet de sa Linda di Chamouni le mélodrame de la Grace de Dieu. Un beau jour Mlle Loïsa Puget, fauvette du pays de M. Auber et de Mme Damoreau, Mlle Puget invente une jolie romance. Il se rencontre par bonheur que ce petit poème langoureux et sentimental plaît à Mme de Sparre, qui en fait la fortune. Des salons du faubourg Saint-Germain, la chanson se répand dans le peuple ; les orgues s’en emparent ; de l’échope au grenier, on la chante, on la siffle, on la fredonne, on la joue. Parlez-moi d’un petit air pour savoir trouver lestement son chemin ; un motif qui réussit en huit jours ferait le tour du monde ; la mélodie a des ailes d’oiseau. Or, l’auteur des paroles, voyant ce succès, se dit : Si je portais mon chef-d’œuvre au théâtre, où l’imagination se paie au centuple, où la popularité vaut des millions ? Et le voilà aussitôt appelant à lui le collaborateur d’usage, arrangeant, coupant, ravaudant, taillant en plein drap dans sa romance comme les autres taillent dans leurs romans ; car c’est une chose aujourd’hui parfaitement reçue que la pensée est une marchandise dont il faut tirer le plus qu’on peut, et qu’une idée, roman, poème ou chanson, usée jusqu’à la corde, traînée par tous les carrefours du journalisme et de la cité, doit finir par aller prendre ses invalides au théâtre. Admirable invention que Racine et Schiller, Voltaire et Goethe, ont eu grand tort d’ignorer, car elle dispense des expositions, vous évite le soin de vous enquérir des passions de gens qui sont autant de vieilles connaissances, et fait qu’il n’est pas désormais de personnages ridicules, d’intrigue languissante et décousue, de sentimens faux, que le public n’adopte. Qu’a-t-il besoin, en