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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

ou sa charité religieuse est moins capable qu’il ne l’était naguère de faire de grandes choses ; et voilà ce qui l’inquiète pour la France, voilà ce qui lui inspire la triste épigraphe de son livre :

Atque dies aderit quâ concidat Ilion ingens,
Et Priamus Prianiique ruet plebs armipotentis !

Que la France se fasse en Algérie un asile et une seconde patrie ! Qu’elle s’y crée un sanctuaire pour y transporter ses dieux pénates, si jamais sur la terre natale la main de l’étranger devait les profaner ! Mais ce sanctuaire, comment le bâtissons-nous ? Nous portons en Afrique le venin de notre néfaste et railleuse indifférence en matière de religion[1], et, chose remarquable, M. Duvivier compte en même temps sur ce venin pour affaiblir la résistance des mahométans ; mais il y compte comme sur une arme de guerre, comme sur un instrument de destruction, et non de création. Notre incrédulité peut, par contagion, nuire aux Arabes ; elle ne peut rien créer ni rien fonder pour nous.

« Si nous avions la foi robuste et brûlante des Godefroy et des Bayard, nous formerions des ordres militaires et religieux qui seraient les têtes de colonne et les conducteurs militaires de notre invasion. Si nous avions des hommes hardis, vigoureux, sobres, croyans, comme furent les compagnons de Fernand Cortez, ils se précipiteraient à la conquête et à la civilisation sur la trace de ces ordres religieux. Si nous avions la charité chrétienne, de riches sociétés se formeraient qui donneraient les fonds nécessaires pour transporter les nouveaux croisés. Alors, on peut en être assuré, ceux-ci réussiraient. Certes, ils imposeraient impitoyablement leur croyance aux indigènes ; mais ce serait une cause de plus de réussite rapide, car, malgré le progrès des idées, il ne faut pas qu’on s’y trompe, une nation qui veut être puissante doit avoir une discipline sévère, et sa première règle doit être de ne pas admettre de diversité de croyances. »

J’ai fait cette citation pour montrer quelle fermentation d’idées il y a dans le livre de M. Duvivier, et comment toutes ses idées, quelque détour qu’elles fassent, aboutissent toujours à la religion. Cependant, comme beaucoup d’hommes de notre temps, M. Duvivier, en fait de religion, sait mieux ce qu’il regrette que ce qu’il veut,

  1. Solution de la question d’Algérie, page 44.