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dans une sorte d’infirmité naturelle à la nation, qu’ils accusent presque d’impuissance. À notre avis, le mal n’est pas là, il est dans la tendance vicieuse que suivent la plupart des artistes, faiseurs de tableaux plutôt que peintres ; il est dans cette déplorable faiblesse avec laquelle ils se résignent à accepter un rôle indigne d’eux. Au lieu de former le goût du public à force de talent et de le contraindre à venir à eux, ils vont au public, se soumettent à ses caprices passagers et au mauvais goût du moment. On imaginerait difficilement jusqu’à quel point, pour se défaire de leur pacotille annuelle, certains de ces industriels se laissent aller à flatter les fantaisies dépravées de la foule. Le mal réside surtout dans les tendances matérialistes de l’époque. Ces tendances anéantissent non-seulement le talent et l’art, mais encore la critique : ses principaux organes passent successivement à l’ennemi, et, en fait d’art, ne s’occupent guère que des arts mécaniques. C’est ainsi que la Revue des Arts, que dirige M. Newton (Repertory of Arts, etc.), a tout-à-fait abandonné les arts du dessin pour ne s’occuper que d’inventions, de brevets et de machines. Quelques petits journaux littéraires du second ordre, l’Atheneum, le Court Journal, etc., donnent seuls encore quelques nouvelles des arts, et jugent, mais fort superficiellement, les exhibitions annuelles.

Cette manie industrielle, cette activité commerciale qui s’empare d’une nation entière, qu’elle prive de tout loisir, est ce qu’il y a peut-être de plus contraire au développement des beaux-arts, dont elle assimile les produits à ceux de toute autre industrie. Il arrive un moment où livres et tableaux se font à l’aide de procédés purement mécaniques et se vendent les uns au poids, les autres à la toise. Les Anglais en sont venus à peu près là. Un tableau, pour le gros du public et particulièrement pour la classe bourgeoise, n’est plus qu’un objet d’ameublement qui, tout en remplissant certaines conditions matérielles, comme celle de flatter l’œil par de belles couleurs et d’être entouré d’un beau cadre bien doré, doit être exécuté dans un temps donné et livré au meilleur compte possible[1].

Que l’on s’étonne maintenant de la rapide décadence de l’art dans ces dix dernières années. L’aveuglement de la critique, qui partage ces travers du jour qu’elle devrait combattre, qui flatte le mauvais

  1. M. Raczynski a calculé que dans l’année 1838 mille artistes anglais avaient exposé trois mille cent quatre-vingt-deux ouvrages d’art, et cela dans Londres seulement.