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DE LA TEUTOMANIE.

la Prusse, semble, jusqu’à ce jour, ne devoir s’exprimer que par un redoublement de mauvaise humeur et de fiel dans lequel la France a naturellement la plus glande part.

Ce que l’on aurait peine à croire, c’est combien cette bile amère est descendue avant dans les œuvres qui semblent le plus étrangères aux passions quotidiennes, et combien les monumens les plus sincères touchent au ridicule par cette barbarie maniérée. Je ne dirai rien du Walhalla du roi de Bavière ; je ne me permettrai pas de sourire à la vue de Mozart flanqué de ces deux grands artistes, Genséric et Alaric, de mélodieuse mémoire ; nous avons été depuis long-temps accoutumés à ces ingénieuses rencontres et à cette solide raison dans les œuvres inviolables du poète royal de Bavière. Mais Overbeck le peintre, un homme sérieux, qui toujours comptera avec la critique, de quel droit, si doux, si naïf, si respectable, a-t-il couru au-devant du ridicule dans son tableau des Arts sous l’invocation de la Vierge ? Dans ce tableau fait pour représenter avec solennité, dans les salles de Francfort, les tendances de l’imagination nouvelle, nous avons vu, il y a quelques semaines, les artistes de tous les temps, de tous les lieux, depuis le roi David et les patriarches jusqu’aux modernes. Italiens, Flamands, Espagnols, Hébreux, Grecs, Allemands, tout ce qui a touché le pinceau ou le ciseau se presse là au pied de la mère de Dieu ; chacun reçoit la récompense de son génie ; ils sont là de tous les pays, de toutes les langues. Mais un Poussin ! un Lesueur ! un Jean Goujon ! un artiste français ! fi donc ! ces gens-là s’étaler sur la toile immaculée de l’art tudesque ! Qu’ils soient anathème ! qu’ils se gardent de paraître dans l’antre saint du teutonisme ! Il est vrai que, par compensation, l’honnête artiste a aventuré sa propre figure dans le coin du tableau, et l’œil peut s’arrêter sur cette impartiale page sans craindre d’être profané par la figure d’un seul de ces damnables compatriotes de Voltaire ; par leur absence, qu’ils portent la peine éternelle de leur trop de bon sens ! On pense bien qu’un si pur exemple, donné de si haut, ne pouvait manquer d’être imité, et cette proscription de notre race est devenue, il semble, une règle générale. Lecteur, si tu te sens le cœur assez fort pour affronter un terrible spectacle, viens et suis-moi dans la salle de philosophie de l’université de Bonn. Le gouvernement prussien a ordonné que toutes les écoles imaginables de philosophie fussent représentées sur la muraille ; l’artiste a obéi. Regarde ! voici de nouveau les patriarches, les docteurs de tous les siècles, de toutes les religions, de tous les peuples ; dans cette assemblée