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REVUE DES DEUX MONDES.

Pauvre, en haillons, pieds nus, suppliant, — une escorte
L’allait chercher : sitôt qu’il entrait, les clairons
Éclataient, on voyait se lever les barons ;
Les jeunes, sans parler, sans chanter, sans sourire,
S’inclinaient, fussent-ils princes du saint-empire,
Et les vieillards tendaient la main à l’inconnu,
Et lui disaient : Seigneur, soyez le bien-venu.
(À un page.)
Va quérir l’étranger…

LE PAGE,

....Il monte, monseigneur.

JOB, aux burgraves

Debout ! (À ses petits-fils.) Autour de moi,
Ici. (Aux clairons.) Sonnez, clairons, ainsi que pour un roi !

Et le mendiant, revêtu d’un sareau de bure, est introduit dans la grand’ salle, avec le cérémonial usité pour un monarque. — C’est là assurément la plus belle et la plus grande peinture de la vie féodale qui ait jamais été tracée. C’est, nous le répétons, un tableau digne de la muse antique.

Il reste, à présent, au poète à donner une voix et un corps à l’autre moitié de sa pensée. Qui prendra-t-il pour représentant de la grande idée de l’unité allemande ? Qui choisira-t-il dans l’histoire comme symbole de l’autorité sociale ? Ici encore M. Hugo a eu la main heureuse. Il a fait choix de celui des chefs de l’empire dont le talon de fer a écrasé le plus de ces nids d’hommes de proie, de l’empereur Frédéric de Souabe… Je me trompe, il suffira au poète (et l’effet de son œuvre en sera décuplé), il lui suffira de réveiller pour un moment l’ombre de Frédéric de Souabe. En effet, nous sommes en 1216, il y a plus de vingt ans déjà que Frédéric Barberousse a perdu la vie en Orient, dans les eaux du Cydnus ; mais qu’importe ? Les peuples ne permettent pas de mourir à qui a eu la volonté et le pouvoir de les servir. L’Allemagne n’a jamais tenu pour mort Frédéric Barberousse ; il dort, le grand monarque, voilà tout. Personne ne doute au bord du Rhin qu’il n’habite avec sa cour en Thuringe, sur le mont Kyffhœuser, près de Nordhausen ; demandez plutôt à Henri Heine, qui vous en donnera des nouvelles toutes fraîches. Ou bien encore, suivant d’autres, le vieux guerrier est assis au fond d’une grotte, balançant son chef blanchi, et quelquefois