Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
LA RUSSIE.

rieur de ses provinces, et remplaça ces exilés par des familles russes. En quittant Novogorod, il interdit toutes les réunions populaires et emporta la cloche qui appelait les citoyens à leurs assemblées.

Pour se rendre plus facilement maître de cette fière cité, il avait dû cependant lui laisser encore quelques priviléges ; la pauvre Novogorod les perdit tous sous le prince Ivan IV, surnommé le Terrible. Entraînée par le désir de recouvrer son ancienne indépendance, elle entra en négociations avec les Polonais, pour se fortifier par leur appui. Ivan-le-Terrible l’apprit, assembla aussitôt une armée, marcha contre la ville, la subjugua, et la noya dans des flots de sang. Pendant plusieurs semaines, le farouche tsar siégea sur son effroyable tribunal, prononçant lui-même la sentence des coupables, désignant les victimes, et chaque jour des centaines, des milliers de têtes, roulaient sous la hache de ses bourreaux. Les dernières franchises de Novogorod furent anéanties. La ville, pillée, saccagée, veuve de ses meilleurs citoyens, tomba sans force sous le joug absolu du tsar. Après cette mortelle catastrophe, son commerce se releva encore ; mais l’accroissement continu du commerce de Moscou et la fondation de Pétersbourg lui portèrent un coup plus funeste que l’ambition d’Ivan III et les cruautés d’Ivan-le-Terrible.

Aujourd’hui Novogorod est le chef-lieu d’un gouvernement secondaire, et ne renferme pas plus de 12,000 habitans. Ses maisons incendiées, détruites, ont été rebâties dans le style moderne, ses rues alignées de chaque côté du Wolchow. On dirait une ville née d’hier, n’étaient les épaisses murailles de son kremlin, qui attestent encore l’ancienne étendue et l’ancienne puissance de Novogorod, sa cathédrale couverte d’or et de peintures, son palais archiépiscopal, et une petite maison à un étage cachée derrière une obscure boutique, et que les habitans montrent avec respect au voyageur. Cette maison était, dit-on, celle de Marfa, l’héroïque femme d’un bourgmestre, qui, à l’approche d’Ivan Ier, jetant elle-même le cri de guerre, et donnant des armes à ses fils, combattit intrépidement pour sa cité natale et pour sa liberté. Quelques sceptiques affirment que la demeure de Marfa a disparu depuis long-temps, et que celle à laquelle on a donné son nom ne lui a jamais appartenu. Ainsi la fière cité de Novogorod n’a pas même pu garder intacte la tradition du passé, et le doute est entré jusque dans ses souvenirs les plus glorieux. Mais qu’importe que cette maison, honorée d’un nom historique, n’ait jamais été celle de la noble Marfa, si l’aspect de ses murs éveille dans le cœur des étrangers qui la contemplent le même sentiment d’admiration, et dans le cœur des habitans la même pensée de patriotisme et de reconnaissance ? Qu’importe la matière périssable, si l’idée qui y est attachée subsiste et se perpétue de génération en génération ?

Autour de Novogorod, il y a encore plusieurs couvens qui jadis prenaient part aux luttes, au gouvernement de la république, et qui ont perdu leur influence sous le régime de l’autocratie. Deux de ces couvens trouvent aujourd’hui dans leur richesse une large compensation à leur nullité politique. Le premier a été royalement doté par la comtesse Orloff, qui possédait une