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les hommes du centre gauche se disent hommes de l’opposition, ils exagèrent leur propre pensée. Ils devraient dire : Nous sommes brouillés avec nos amis, nous voudrions bien leur faire un peu de peine, leur inspirer quelque crainte ; nous allons momentanément grossir cette bande, voter avec eux, jusqu’au jour cependant où se présentera une question grave, vitale pour les intérêts de notre véritable parti. Ce jour-là, ou nous parlerons pour lui, ou nous garderons le silence. Voilà le vrai, voilà ce qui a été, voilà ce qui est, voilà ce qui doit être ; car, encore une fois, un parti ne s’abdique pas lui-même ; il ne renonce pas du jour au lendemain à ses principes, à ses antécédens, à sa gloire. Ces brusques évolutions, on peut les concevoir d’un individu, de quelques individus. La famille humaine compte de grandes variétés dans son sein. Mais les partis sont des êtres collectifs. Ils peuvent commettre des fautes ; ils n’ont pas d’élans subits et difficiles à expliquer.

Le parti conservateur est un, comme la gauche, comme le parti légitimiste. La gauche a deux nuances, le parti légitimiste a deux nuances, sans que ces nuances altèrent leur unité. Il en est de même du parti conservateur. Les conservateurs veulent tous la liberté, l’ordre et la paix, avec la monarchie et les institutions de juillet. Rien de plus, rien de moins. M. Thiers ne veut pas plus la république, le suffrage universel, la guerre de principes, de propagande, de conquête, que M. Guizot. M. Guizot ne veut pas plus que M. Thiers une autre dynastie, le despotisme, l’asservissement de la presse, l’humiliation de la France. Est-ce à dire que les deux nuances du parti conservateur n’existent pas ? Elles existent, tout le monde le sait ; M. Thiers et M. Guizot, dans la haute impartialité de leur esprit, en donneraient, nous en sommes certains, une définition parfaitement exacte. Nous, nous ne pouvons que comparer les hommes des deux nuances à deux orateurs s’adressant sur le même sujet à une même assemblée avec l’espoir de la convaincre tout entière. Regardez-les ; ils ne se placeront ni l’un ni l’autre exactement en face de leur auditoire. Sans s’en douter, chacun s’adressera plutôt à un côté de l’assemblée qu’à l’autre, son regard se fixera plutôt sur les uns que sur les autres ; on dirait qu’il tient à convaincre ceux-ci plus encore que ceux-là. C’est là le vrai. Dans toute pensée complexe, et il n’est pas de pensées plus complexes que les choses du gouvernement, il n’est personne qui n’accorde un peu plus d’attention à un élément de sa pensée qu’à un autre. Ces élémens, fussent-ils, abstraitement considérés, parfaitement égaux en importance politique, l’homme ne peut pas ne pas altérer quelque peu cette égalité au gré de ses goûts, de ses tendances, de ses opinions particulières. Nos études, nos habitudes d’esprit, nos antécédens, notre vie, tout influe sur nos appréciations des hommes et des choses. Celui qui se croirait complètement dégagé de ces liens ferait preuve d’une vanité par trop ridicule. C’est ainsi, pour dire les noms propres, que M. Guizot, tout en voulant la liberté et l’honneur du pays, se préoccupe avant tout de l’ordre et de la paix. C’est ainsi que M. Thiers, tout en voulant l’ordre et la paix, est fort susceptible à l’endroit des libertés publiques et de la dignité nationale. De