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ciaire et administratif, et jusqu’à la rédaction du Journal des Débats. Ceux-là même qui hésitaient à s’engager faisaient agréer leurs refus dans des termes si peu flatteurs pour le cabinet, et laissaient planer un vague si bien calculé sur leur résolution intime et définitive, que toutes les suppositions étaient permises, et que l’opposition avait pleinement le droit, quelques jours avant le combat, de s’étonner de la confiance qu’affectait le cabinet.

Cependant ces dispositions du parti conservateur étaient, il est juste de le reconnaître, subordonnées à un fait capital : la possibilité d’une transaction avec le centre gauche et la certitude d’une prompte solution de la crise ministérielle. Or, cette crise ne pouvait finir que de deux manières, ou par l’accession de MM. Passy et Dufaure au nouveau cabinet, ou par celle des amis de M. Thiers. Si la première combinaison n’était pas la plus forte, c’était celle qu’il était le plus facile de faire agréer à la majorité. Mais on sait avec quelle probité puritaine M. Passy s’est déclaré impossible, et avec quel abandon M. Dufaure est venu compromettre le fruit de trois années d’attente. En donnant pour programme au futur cabinet la réforme électorale, c’est-à-dire la pensée la plus stérile dans ses résultats pratiques, la plus dangereuse dans les vagues espérances qu’elle soulève, cet honorable membre ne pouvait manquer de déterminer dans les centres une réaction vive et instantanée. C’est lui qui a sauvé le cabinet d’une défaite à peu près inévitable, et lui seul, comment le méconnaître ? était en mesure de lui rendre un tel service. M. Dufaure, dont les convictions sincères sont respectées de toute la chambre, a repris désormais sa place derrière M. Barrot ; il s’est volontairement désintéressé dans toutes les combinaisons prochaines. Le mouvement électoral pourra l’appeler un jour aux affaires, mais la chambre actuelle ne paraît pas, dans les éventualités qui signaleront sa durée, devoir lui en ouvrir l’accès. Ce noviciat contribuera à développer l’esprit politique de M. Dufaure.

La manière dont l’ancien tiers-parti avait traité la question intérieure rendait la tribune presque inabordable pour les amis de M. Thiers. La démoralisation d’ailleurs avait envahi les rangs de la majorité, et ils n’éprouvaient pas un bien vif désir de prendre leur part dans une défaite en dehors de laquelle il ne leur était pas interdit de rester placés. De plus, la situation personnelle de M. Thiers était bien connue. Ne voulant pas, ne pouvant pas accepter en ce moment le pouvoir pour lui-même, il se trouvait dans l’obligation, en prenant la parole, d’ajouter une démission à celle qu’avaient déjà donnée MM. Passy et Dufaure ; enfin il aurait rompu, pour une cause qui ne lui était pas personnelle, un silence que M. de Salvandy s’obstinait à garder sous le coup des provocations les plus directes et devant les agressions de M. Mauguin attaquant corps à corps le ministère du 15 avril. C’eût été de la générosité ; M. Thiers s’est borné à être habile, et son silence a réussi autant qu’un bon discours.

Au sein d’une pareille déroute, la fraction dissidente du parti conservateur a pu à bon droit se considérer comme dégagée, et il y a certainement dans ce fait une victoire accidentelle pour le cabinet plutôt qu’une conquête