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TRAVAIL DES ENFANS DANS LES MINES.

grande partie sur notre peu de zèle à étudier chez nous le sort de cette partie de la population qui, vouée aux travaux les plus pénibles et les plus incertains, lutte vainement contre l’indigence. Pourquoi donc de l’autre côté du détroit une sollicitude si vive dans son expression, et non moins active dans la pratique ? Nous croyons en apercevoir le mobile principal dans un intérêt politique ; nous y voyons le calcul d’une aristocratie depuis long-temps accoutumée à ne jamais fermer les yeux sur les périls qui la menacent, et qui jusqu’à présent a toujours su conjurer par son habileté ceux qu’elle n’a pu prévenir par sa vigilance.

Sans doute, dans les vieilles sociétés, la force même des choses fait de ceux qui n’ont pas des moyens assurés d’existence les ennemis naturels des aristocraties ; mais la situation de la population laborieuse de la Grande-Bretagne à l’égard de la classe qui a le monopole héréditaire de la fortune et de l’autorité, présente aujourd’hui un caractère d’une gravité toute nouvelle dans l’histoire d’Angleterre. Lorsqu’elle était employée presque tout entière aux travaux agricoles, cette population était incapable de susciter des embarras sérieux. Habituée au patronage des grands propriétaires auxquels son existence était liée, disséminée d’ailleurs sur un pays étendu, il eût été difficile qu’elle trouvât dans des souffrances communes le concert, l’union, qui font la force des masses, et qu’elle pût exercer sur les affaires de l’état une influence réelle. Aussi, dans une grande circonstance, aux élections parlementaires, lorsque la constitution du pays lui offrait le moyen de faire entendre sa voix, cédant aux propriétaires du sol, comme une autre redevance du fermage, les pouvoirs d’un jour qui étaient mis entre ses mains, elle ne semblait s’en servir que pour ajouter à l’état de choses auquel elle était assujettie l’éclatante sanction d’une soumission volontaire. D’ailleurs, les seuls besoins auxquels elle fût sensible, les premiers besoins de la vie, étaient assurés à ceux de ses membres qui ne pouvaient y subvenir en travaillant, par une législation spéciale, les lois des pauvres : tactique habile du patriciat, qui au fond aggravait le paupérisme, mais en l’endormant. Également divisés et accessibles aux mêmes influences, les ouvriers de la petite industrie ne présentaient pas d’obstacle plus grave. Il n’y avait pas de peuple alors en Angleterre, dans le sens politique de ce mot ; l’élément plébéien et démocratique ne se montrait pas encore en présence de l’aristocratie souveraine.

Les découvertes d’Arkwright et de Watt n’ont pas fait une révolution moins importante en politique que dans le commerce et dans l’industrie, car elles ont complètement changé cette situation. Les forces énormes que les inventions de ces deux grands hommes ont mises à la disposition de l’industrie ont donné à l’Angleterre l’immense puissance de production qui semble en avoir fait le grand atelier du monde, et, remarquable phénomène ! ces machines, qui paraissaient destinées à diminuer l’emploi des forces humaines, l’ont accru au contraire dans une proportion parallèle à l’augmentation des produits qu’elles ont offerts aux consommateurs. La grande industrie, le factory system, comme disent les Anglais, a suscité une population nouvelle,