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spéciale. S’il y a une différence quant aux matières qu’on présente à leur examen, il n’y en a aucune quant aux attributions : le conseil privé ne peut être qu’une commission ; il ne sera investi d’aucun pouvoir ; toute action gouvernementale, comme toute responsabilité, lui sera complètement étrangère.

Encore une fois, les deux mesures, considérées isolément, nous paraissent irréprochables ; mais le ministère ne les a pas prises isolément. Il a été plus loin : il a voulu les lier l’une à l’autre, établir entre elles un rapport qui nous paraît tout-à-fait artificiel, et qui n’est pas, ce nous semble, sans quelques inconvéniens.

Ayant voulu créer des ministres d’état pour donner aux anciens ministres une retraite honorable, il a imaginé de dire que le conseil privé serait composé de ministres d’état ; il a établi de la sorte un rapport factice entre les deux mesures, rapport qui n’a d’autre fondement qu’une dénomination nullement nécessaire. La liaison artificielle a tout de suite produit ses conséquences ; il aurait été ridicule de dire que le conseil privé serait composé de tous les anciens ministres, c’est-à-dire que la couronne ne consulterait qu’un corps composé en grande majorité d’adversaires du cabinet, de ses rivaux. Il a donc fallu ajouter que, bien que ministres d’état, ils ne faisaient pas nécessairement partie du conseil privé ; ils pourront ne pas y être appelés. Cela ne suffisait pas, le danger n’était pas atténué ; on a en conséquence établi des catégories dans lesquelles on pourra choisir d’autres ministres d’état pour les appeler ensuite au conseil privé. Ici les objections pullulent. Ces catégories sont-elles toutes également acceptables ? Les ambassadeurs ? Sans doute lorsqu’un homme politique aura été momentanément ambassadeur, vous pourrez l’appeler au conseil privé : il vous apportera avec ses lumières son influence ; mais la plupart des ambassadeurs sont des diplomates de profession, ayant vécu plus hors de France qu’en France, connaissant peu le pays, n’en étant guère connus, peu au fait des grandes questions de la politique intérieure, des mouvemens et de la force des partis, des dangers que le gouvernement peut courir, des ressources sur lesquelles il peut compter. Quelle influence ces hommes, si habiles qu’ils soient d’ailleurs, vous apporteront-ils ? Ceux qui effectivement vous seraient utiles auront déjà été ministres. Les procureurs-généraux ? Certes, MM. Dupin et Hébert sont fort bons à consulter, mais comme hommes politiques influens, comme hommes considérables dans la chambre des députés, non comme ministère public. Agens révocables du pouvoir exécutif, que peuvent-ils vous dire que vous ne sachiez pas, qu’ils ne vous aient déjà dit ? S’ils en savent plus que M. le garde-des-sceaux n’en sait déjà, plus qu’ils ne lui en ont déjà appris, c’est que quelqu’un a failli à son devoir. Si on établit ces catégories, pourquoi ne pas appeler le général qui commande dans le département de la Seine une armée de cinquante mille hommes ? Pourquoi ne pas appeler M. le préfet de police ? Laissons ces détails, et disons d’une manière générale que les catégories sont à nos yeux une erreur.