Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
162
REVUE DES DEUX MONDES.

rendait le joug de Rome si lourd aux populations germaniques, M. Philarète Chasles a pu indiquer d’heureux rapprochemens entre l’ancienne et la nouvelle Allemagne. Il a rappelé les éternelles différences de sentimens et de génie qui séparèrent toujours les races germaniques et celles qui ont hérité de la civilisation romaine. Il n’a pas caché ses préférences, et c’est avec un légitime orgueil qu’il a énuméré les titres glorieux et les immortelles qualités du génie français. L’auditoire a témoigné une vive sympathie au professeur, quand, adressant un même hommage aux représentans les plus divers de l’originalité de notre pays, M. Chasles a évoqué autour des majestueuses figures de Racine, de Corneille, de Pascal, les fines et souriantes physionomies de Rabelais et de Montaigne. On ne pouvait répondre aux attaques de la critique allemande contre nos gloires littéraires avec plus de verve ingénieuse et de courtoise ironie.

La leçon d’ouverture de M. Edgar Quinet, chargé du cours des littératures de l’Europe méridionale, avait précédé la leçon de M. Chasles. M. Quinet a un sentiment vif et profond des traits généraux qui expriment et caractérisent le génie des littératures ; c’est ce sentiment qu’il a fort heureusement appliqué à l’Espagne et à l’Italie du XVIe siècle : il a tracé avec une précision brillante les grandes lignes du tableau dont il se propose d’étudier cette année les détails. L’éloquente et chaleureuse parole de M. Quinet ne semble jamais plus à l’aise que quand il contemple ainsi l’aspect le plus large et le plus élevé d’un sujet. Aussi a-t-il plus d’une fois, dans le cours de sa leçon, trouvé des élans qui communiquaient à ses auditeurs l’émotion dont lui-même était rempli. Nous insérons ici cette leçon, qui a été souvent interrompue par d’unanimes applaudissemens.


Le double caractère de la renaissance est marqué mieux qu’ailleurs, en Italie, par l’opposition de ces deux noms, l’Arioste et le Tasse, qui représentent non pas seulement deux formes de poésie, mais véritablement deux révolutions dans l’imagination humaine au sortir du moyen-âge. Nous avons vu, dans le cours précédent, le XVe siècle tout entier aspirer à une réforme religieuse, l’église elle-même y prêter les mains, les conciles de Pise, de Constance, de Bâle, s’annoncer comme autant d’assemblées constituantes, prêtes à changer les formes visibles du contrat qui lie l’homme moderne au dieu de l’Évangile. Les plus fermes esprits se laissent aller à cette pente ; on se sent entraîné, sans savoir vers quel rivage. Dans cette ardeur d’innover, la papauté, surprise, disparaît par intervalles ; il y a un moment où l’on croirait que la théocratie romaine, décapitée, va se changer en une république d’évêques. Dans cet affaiblissement de l’autorité de l’église, l’imagination, ou pour mieux dire, la fantaisie, le caprice règnent sans contrôle. Il se passe quelque chose de semblable à ce que l’on a vu peu de temps avant la révolution française. Une foule d’esprits charmans, imprévoyans, le sourire sur les lèvres, courent au-devant du précipice. Cette époque est celle du règne d’A-