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par lesquelles il commence à s’insinuer), ne croyez pas, avec votre siècle, que l’or peut tout, fait tout, est tout. Qui donc a possédé plus d’or que l’Espagne, et qui a les mains plus vides que l’Espagne ? Ne reniez pas, au nom de la tradition, la liberté de discussion, l’indépendance sainte de l’esprit humain. Qui donc les a reniées plus que l’Espagne, et qui est aujourd’hui plus durement châtiée que l’Espagne dans la famille chrétienne ? Vous qui entrez dans la vie, ne dites pas que vous êtes déjà lassés sans avoir couru, que vous respirez dans votre époque un air qui empêche les grandes pensées de naître, les courageux sacrifices de se consommer, les vocations désintéressées de se prononcer, les hardies entreprises de s’accomplir ; qu’un souffle a passé sur votre tête, qu’il a glacé par hasard dans votre cœur le germe de l’avenir, que vous ne pouvez résister seuls à l’influence d’une société matérialiste, et qu’enfin ce n’est pas votre faute si, jeunes, vous avez déjà le désabusement et l’expérience de l’âge mûr. Ne dites pas cela, car c’est le conseil le plus insidieux du sommeil de l’esprit. Par quel étrange miracle vous trouveriez-vous fatigués du travail d’autrui ? Pendant que vos pères couraient sans relâche d’un bout à l’autre sur tous les champs de bataille de l’Europe, où étiez-vous ? que faisiez-vous ? Vous reposiez tranquillement dans le berceau ; éveillez-vous maintenant aux combats de l’intelligence, pour ne plus vous rendormir que dans la mort ! Le monde est nouveau aux hommes nouveaux, et c’est un bonheur que beaucoup de gens vous envient d’appartenir à un pays qui, suivant les instincts que feront prévaloir les générations les plus jeunes, peut encore opter entre le commencement du déclin ou la continuation des jours de gloire.

E. Quinet.

V. de Mars.