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DU DROIT DE VISITE.

ordres du conseil, les décrets de Berlin et de Milan étaient tombés avec Napoléon. L’Angleterre ne pouvait alléguer aucun motif de visiter les navires des autres nations, de troubler leur commerce et de porter atteinte à l’indépendance de leur pavillon ; mais cette exception, née de l’état de guerre, elle aspira à l’introduire dans la paix, et en trouva un motif spécieux.

Wilberforce, avec cette persévérance que les Anglais apportent à la poursuite d’une idée, avait sollicité, pendant vingt ans, du parlement, l’abolition de la traite des noirs. Chaque session, de 1787 à 1807, l’avait vu renouveler sa généreuse motion, soutenue d’abord par une faible minorité, combattue par des hommes considérables, tels que le duc de Clarence, qui a régné depuis sous le nom de Guillaume IV, lord Eldon, qui a été chancelier, les lords Liverpool, Sidmouth et Hawkesbury, qui ont été ministres. Traité par eux de fanatique, il vit d’année en année sa minorité s’accroître jusqu’à ce qu’elle devînt majorité, et le succès couronna enfin ses efforts. Le ministère de M. Pitt et le parlement, peu favorables à la mesure, furent obligés de céder, vaincus par l’opinion extérieure et par la persistance d’un homme que ni la guerre terrible à soutenir contre la France, ni l’état intérieur de l’Angleterre, de plus en plus critique, n’avaient pu détourner de son but.

Mais du jour où le gouvernement anglais fut obligé d’entrer dans cette voie, il n’y entra pas à demi. S’interdire la traite des noirs, et la laisser libre aux autres, ne pouvait lui convenir. C’eût été placer ses colonies dans une exception dommageable, qui ne leur eût pas permis de soutenir la concurrence avec celles des autres pays. L’opinion religieuse, d’ailleurs, qui avait obtenu la consécration d’un grand principe d’humanité, n’aurait pas tenu le gouvernement quitte à si bon marché. Elle voulait qu’il le fît adopter par tout l’univers, et l’Angleterre avait une assez haute idée de sa puissance pour se croire capable de réussir dans ce dessein.

Le gouvernement anglais profita donc de la première occasion qui s’offrit, celle du congrès de Vienne, pour demander que les autres puissances adhérassent à l’abolition de la traite des noirs qu’il avait proclamée. Les souverains étaient rassemblés après la victoire pour s’en partager les fruits. Heureux d’être délivrés du joug de la France, le bonheur les disposait à la générosité. L’Angleterre, d’ailleurs, avait des droits à leur reconnaissance, et exerçait un juste ascendant sur eux ; elle ne trouva donc aucune difficulté de faire