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DU DROIT DE VISITE.

pouvaient être visités. Trois années se passèrent en négociations avec les cours de Pétersbourg, de Berlin et de Vienne, avant qu’on fût d’accord sur la rédaction définitive du traité. La Russie s’alarma de l’extension donnée au droit de visite : elle demanda et obtint que la côte septentrionale des États-Unis en demeurât affranchie ; le traité enfin fut signé par les représentans des cinq cours, le 20 décembre 1841, non point aussi étendu que le projet de 1838, mais soumettant au droit de visite des mers qui n’y étaient pas comprises par les conventions de 1831 et 1833.

Cependant les dispositions n’étaient plus les mêmes en France qu’à l’époque où ces conventions avaient été signées, et cette fois le traité ne passa pas inaperçu. L’Angleterre, par le traité du 15 juillet 1840, s’était séparée de la France sur les affaires d’Orient, et avait excité chez celle-ci une vive émotion et un profond ressentiment ; à la nouvelle du traité, ce ressentiment éclata, et la vieille rivalité nationale qu’on avait réveillée se fit jour. La presse cita plusieurs exemples de bâtimens français maltraités. Elle montra les marins anglais rudoyant nos matelots, brisant les écoutilles, bouleversant la cargaison, consommant ou enlevant les provisions ; le bâtiment arrêté dans sa marche ; ou même envoyé, sur de frivoles prétextes, pour se faire juger au loin, et ne pouvant, après son acquittement, obtenir une indemnité de ses pertes ; sa spéculation, pendant ce temps, manquée et faite par les Anglais, qui en ont eu connaissance par les papiers de bord ; nos armateurs découragés n’osant plus se livrer au commerce avec l’Afrique, et ce commerce, qui serait susceptible de s’accroître, devenant, grace au droit de visite, le privilége exclusif des Anglais. « Que les conventions de 1831 et 1833 eussent été consenties dans un moment où on n’en prévoyait pas les inconvéniens, et où les deux nations étaient alliées, cela se comprenait, mais après l’expérience faite de leurs dangers, et surtout après le traité du 15 juillet, par lequel l’Angleterre avait brisé l’alliance, donner à ces conventions une consécration nouvelle, et les étendre à d’autres mers, serait aussi contraire à la dignité qu’à la politique de la France. »

Une circonstance contribua à fortifier cette disposition des esprits. L’Angleterre, en même temps qu’elle négociait avec la France et les trois grandes puissances pour la signature du traité, avait négocié avec les États-Unis, non plus pour obtenir leur adhésion au droit de visite réciproque, qu’ils étaient résolus de ne jamais accorder, mais pour qu’ils permissent du moins à ses croiseurs, quand ils rencontreraient un bâtiment portant pavillon américain, de s’assurer qu’il