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grand roi, ne pouvant plus garder la gravité imperturbable digne de son rang, s’oublia devant toute l’assemblée au point de mordre son pouce et d’ouvrir les yeux si grands qu’il eût vu ses oreilles, selon l’expression chinoise, et alors il se mit à se frotter la poitrine « comme un gamin devant un beau morceau de pain d’épice, en criant : Monanti, tanta ! que c’est beau, que c’est bon ! »

Comme le lecteur n’aurait pas, à entendre la nomenclature de ces présens, la dixième partie de la joie qu’éprouva Moselekatse à les posséder du regard, nous lui en ferons grace ; toutefois nous laisserons le capitaine raconter lui-même l’effet produit par la prodigieuse houppelande : « Il se leva brusquement, gros d’une grande idée, et fit signe au Parsi d’approcher et de l’aider à se revêtir de l’habit ; ainsi arrangé, il se secoua à plusieurs reprises en regardant sa personne dans un miroir avec une évidente satisfaction. Puis il voulut habiller à son tour le page Mohanycom, afin de s’assurer si le vêtement faisait aussi bien par derrière ; une fois ce point difficile dûment éclairci, le despote jeta bas sa ceinture, et, se montrant in puris naturalibus, il commanda à toute la cour de l’assister dans une opération bien autrement compliquée, à savoir de le faire entrer dans une paire de culottes de tartan. »

On conçoit avec quel empressement le roi des Matabilis fit emporter ces richesses précieuses, auxquelles il joignit les pantalons de soie rouge du Parsi, sous prétexte qu’on avait oublié de les lui donner. Jusqu’alors son vêtement de cérémonie, son habit de cour, avait consisté en un tablier composé de lanières de peau de chèvre noire, chargé de colifichets, de verroteries enlacées de la façon la plus bizarre et la plus capricieuse. Ses visites aux wagons devinrent fréquentes, trop fréquentes même ; il était difficile de soustraire à sa vue certains articles trop indispensables pour pouvoir lui être offerts, et sa majesté, furetant partout, ouvrant les coffres, faisait une revue exacte et parfois une razzia effrayante, choisissant tantôt des colliers pour ses femmes, tantôt des souliers pour lui. Quelquefois, vêtu du splendide duffel, il s’asseyait au milieu de sa cour sur une chaise empruntée aux voyageurs, et faisait allumer six chandelles de cire, provenant de la même source, pour mieux illuminer sa radieuse personne. Souvent sa majesté s’enivrait d’outchualla, espèce de bière faite avec du grain kafre fermenté ; tout le jour, on voyait de longues files de femmes arriver en chantant vers le kraal royal, portant sur leurs têtes des tasses pleines de ce breuvage. Au reste, il envoyait lui-même des bœufs et de vieilles vaches à ses hôtes ; ils n’avaient à