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prit logique et d’une rare méthode, il a mis une ténacité non moins rare à rompre le ciment qui maintenait l’édifice de ses pensées et à les répandre comme une poussière vannée par le vent ; esprit laborieux, il a recherché les dehors de la négligence et travaillé jusqu’à sa paresse. Ame chaleureuse et convaincue, il a eu comme horreur de se laisser prendre en flagrant délit d’enthousiasme ; il a traité sans pitié sa passion par les réactifs d’une chimie morale qui n’est qu’à lui, et chaque élan de son ame en bouillonnement a tourné tout soudain en jet d’ironie. Génie brusque et primesautier, on ne lui voit jamais d’abandon, et l’homme qui se regarde penser et qui se surveille apparaît jusque dans ses saillies. Ennemi de l’affectation, il a mis de l’affectation partout, et jusque dans cette haine. Ennemi de la vanité, il s’est plu à la démasquer, à la désoler par la constance et la sagacité malicieuse de ses attaques ; mais cette idée du voisin dont il dénonçait les burlesques effets dans les autres, il n’a pas su mieux qu’un autre en secouer le joug ; le spectre du voisin a sans repos ni trêve posé devant lui ; harcelé, tourmenté, obsédé par cette vision incessante, lui-même l’évoquait sans cesse pour se raidir à la braver ou se fatiguer à la fuir. Épris du sans-gêne et du naturel, il a passé sa vie à se travestir. S’il a semé à pleines mains l’épigramme, c’était comme pour se faire un hallier où il pût cacher ses inquiétudes ; il n’a tant fait marcher le ridicule devant lui que pour n’en pas être atteint. C’est en portant la croix de sa vanité qu’il a (on peut le dire) sué l’ironie. Il a consacré vingt volumes et infiniment d’esprit, de bon esprit français, à parler des beaux-arts et à médire de l’esprit, de l’esprit français surtout, qu’il trouvait incompatible avec le sentiment des beaux-arts ; de façon que, si l’on en croit ses médisances, on ne le lira pas, ou que, si on le lit, on ne l’en croira pas. Une moitié de sa vie et de son intelligence s’est dépensée à écrire des livres pour le public ; l’autre moitié, la plus forte peut-être, à tisser et à rompre pour recommencer sur nouveaux frais les fils du triple réseau de mystères dans le dédale duquel il aimait à faire disparaître sa personne et son nom. C’est là un travail assez nouveau, et dans lequel il n’avait guère à craindre de se rencontrer ni avec des modèles ni avec des imitateurs ; aussi est-ce merveille de voir ce qu’il y a mis de prédilection, d’application, d’invention : tantôt officier de cavalerie, tantôt marchand de fer, tantôt douanier, tantôt femme et marquise, de Stendhal, Lisio, Visconti, Salviati, Birkbeck, Strombeck, le baron de Botmer, sir William R.…, Théodose Bernard (du Rhône), César-Alexandre Bombet, Lagenevais, etc., etc., que dire encore ?