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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

teur, il est enchanteur, » est tout au long dans les lettres du président de Brosses, qui ne le répète pas.

Sa démission donnée, il revint à Grenoble prendre le vent et aviser à s’orienter vers quelque carrière nouvelle. Avait-il déjà perdu de vue sa vocation musicale ? Ce qui paraît certain, c’est qu’à Paris, où il se rendit bientôt après, ses études portèrent tout entières sur les matières que nous avons indiquées. Pendant deux ans, il vécut dans la solitude avec ses livres. À cette époque, le génie de la nation était tout à la guerre ; la littérature brillait d’un faible éclat ; on vivait sur les restes de l’abbé Delille ; tout languissait, tout s’éteignait : la tragédie en était à Legouvé, la comédie à Demoustier, compensé, il est vrai, par Picard. Le reste de la poésie était à la didactique, à la traduction, à la description, à l’imitation des imitations ; c’était une agonie. « Moi qui vous parle, dit M. de Stendhal, j’ai vu M. Esménard tenir dans Paris état de grand homme. » La prose en était au vieux Laharpe, encore tout étourdi du coup de massue que la révolution avait porté à ses beaux rêves philosophiques et à ses facultés, qui toutes avaient tourné à une palinodie furibonde. La prose avait encore, il est vrai, Mme de Staël et M. de Châteaubriand ; mais, sur ce dernier, M. de Stendhal n’a jamais su aller au-delà de cet éloge : « Les belles phrases du Génie du Christianisme ; » ce qui est, il faut le dire, une louange bien mince dans sa bouche. Mme de Staël était encore moins bien venue auprès de M. de Stendhal ; il la nomme souvent, toujours avec ironie, sauf deux petites fois ; il n’a guère vu chez elle qu’un faux goût, qu’une fausse chaleur, qu’une rhétorique phrasière et boursoufflée, et l’emphase des mots recouvrant le vide du sentiment ou de la pensée. Il souligne le mot enthousiasme dans cette phrase : « Une femme connue par son enthousiasme pour les beautés de la nature s’est écriée pour plaire aux Parisiens : Le plus beau ruisseau du monde, c’est le ruisseau de la rue du Bac ! » Nous ne serions point étonné que ce fût en haine de Corinne, qu’il eût adopté dans ses ouvrages sur l’Italie la forme déshabillée du journal de voyage et de la note de carnet non encore rédigée. C’est encore en haine de Corinne, en haine du Génie du Christianisme et des Martyrs, qu’il dit : « Je serais ennuyeux comme un faiseur de prose poétique… À moins de faire de la prose poétique qui ne compte pas… Je demande pardon pour le parler bref et tranchant, je pourrais dire les mêmes choses en beau style néologique et moral, mais… etc. » C’est encore en haine de Corinne, en haine de Cicéron, en haine de tous les prosateurs Italiens, dont il fait deux catégories, les pédans d’idées et les