Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
291
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

trer ou cacher, développer ou restreindre à propos, il s’y prend de manière à ce que l’on ne puisse saisir le rapport qui unit les actions des personnages à leurs intentions ou à leur caractère annoncé. On croit se promener dans une maison de fous. M. de Stendhal a voulu peindre le côté triste et maladif des jeunes gens du XIXe siècle. Il n’a griffonné qu’une caricature indéchiffrable. C’est le seul de ses livres où il ait trouvé l’art d’être constamment ennuyeux.

Dans le Rouge et le Noir, il paraît avoir repris le même type de caractère en le développant et le complétant. Il en a retiré aussi la rêverie sombre et la tristesse dont on ne sait pas la cause. Quand Julien Sorel devient sombre, c’est que ses passions ont rencontré un objet qui les irrite ; il devient sombre par haine impuissante, par envie, par vanité blessée, par ambition, par toutes les passions mauvaises dont l’auteur fait le lot du XIXe siècle. Pourquoi M. de Stendhal ajoute-t-il à tous ces élémens de malheur l’idée du devoir qui, lorsqu’elle est librement acceptée, ne peut être qu’un élément de bonheur, s’il est vrai, surtout comme il l’affirme lui-même, qu’il n’y a dans la volonté rien d’autre que le plaisir du moment ? Cette idée du devoir, donnée, nous le savons, comme contraste à l’idée de l’utile, avait déjà bien assez embrouillé son premier roman, où l’on voit le héros principal se rendre malheureux à plaisir, en allant se chercher des devoirs dans les visions les plus fantasques, et violer en même temps les plus simples devoirs d’humanité. L’idée du devoir est-elle donc d’ailleurs si inhérente aux mœurs de notre époque ? Il nous semble que non ; et si l’auteur n’a voulu que présenter une idée négative de l’idée de plaisir, ne pouvait-il pas mieux rencontrer ? À défaut du plaisir, ce n’est point le devoir qui meut les générations nouvelles : c’est l’intérêt, c’est l’utile, et cela était vrai en 1827 et en 1830 au moins autant qu’aujourd’hui. Quelles sont d’ailleurs les circonstances dans lesquelles M. de Stendhal met à l’œuvre cette idée de devoir ? Julien Sorel, pour en citer un exemple, nouvellement établi dans la maison de M. de Raynal, s’impose, un certain jour, comme devoir, d’avoir baisé, lorsque dix heures du soir sonneront, la main de Mme de Raynal, sinon il se brûlera la cervelle. Ici, nous devons l’avouer, l’auteur et nous ne parlons plus une langue commune, et nous ne pouvons comprendre celle qu’il parle. À qui fera-t-on admettre et comprendre cette confusion qu’il admet et qu’il comprend sans doute entre le devoir et l’obligation que s’impose un drôle vaniteux de violer les lois de l’hospitalité, les lois de la reconnaissance, et les devoirs les plus sacrés ? tout cela pour le plaisir de se brûler la cervelle s’il man-