Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
329
LES ORIGINES DE LA PRESSE.

génie, que la flamme trouvait ses alimens tout préparés. Deux des ouvriers de Gutenberg, Arnold Pannartz et Conrad Schweynheim, allèrent s’établir à Subiaco, et de ce couvent, situé dans une gorge solitaire des Apennins, firent une imprimerie. Les solitaires des Apennins, vendaient très peu, et leur magasin, situé dans une localité qui ne favorisait point le commerce, leur laissèrent, comme ils le dirent, beaucoup d’exemplaires sur les bras ; ils demandèrent secours au pape Paul II, et ils l’obtinrent, propter nimiam paupertatem, à cause de leur excessive pauvreté. Le pape les fit venir à Rome, et bientôt Venise, Milan, Vérone, Ferrare, Florence, Naples, Trévise, Crémone, Mantoue, Parme, Padoue, eurent leurs imprimeries.

C’était une magie de voir tous les morts de l’antiquité se redresser dans leur tombe, pourvus d’immortalité et populaires ; le caractère de la presse est surtout d’être populaire. Les grands et les princes non-seulement ne s’opposaient pas à ce mouvement triomphal, mais ils le favorisaient. Ils ne virent l’insurrection probable des esprits que plus tard, quand leur intérêt menacé les avertit. Papes et cardinaux, altesses et grandes dames, s’empressèrent autour de ce berceau d’Hercule. Les premiers patrons du géant qui venait de naître furent Paul II, Léon X, Maximilien, Ximenès, Henri VIII, François Ier, Élisabeth. On vit François Ier visiter l’atelier de l’imprimeur, et rester debout pendant que l’on corrigeait une épreuve, « afin, disait-il, de prouver son respect pour la science. » Une étrange association, qui va nous surprendre, protégea surtout le développement de l’imprimerie en Italie : on y voit réunis le cardinal Bembo, ce poète érotique, ce philosophe galant, que la beauté de Lucrèce Borgia avait si vivement charmé ; le savant Alde Manuce, l’auteur de ces chefs-d’œuvre d’impression qui se vendent au poids de l’or, et Lucrèce Borgia, la célèbre et terrible femme que l’on sait. Bembo le cardinal avait tout crédit sur l’esprit de Lucrèce. Un jour cette femme, qui avait, dit-on, autant d’esprit qu’elle avait de vices ; Lucrèce que son poète Strozzi nous montre couverte de longs cheveux blonds tombant sur ses épaules et noués par une bandelette noire, l’œil noir et ardent, les formes vigoureuses et presque viriles :

Plusque tua igniferi forma vigoris habet !

descendit à Venise dans l’atelier de Manuce et lui tint ce discours que Manuce a conservé : « Je défraierai, si vous le voulez, toutes les dépenses de votre entreprise nouvelle. Ainsi, quoique je doive