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Qu’importe ? La commission de l’adresse, mêlée comme elle l’est, en viendra peut-être à proposer sur le droit de visite je ne sais quelle phrase vague, indirecte, digne de figurer parmi ces phrases entortillées que le défunt tiers-parti décochait de ses embuscades contre le ministère du 11 octobre. Aujourd’hui comme alors, on voudra surtout pouvoir dire : C’est à nous qu’on la doit. Les députés pourront un jour rappeler la phrase à leurs électeurs ; c’est l’essentiel. Ajoutons cependant qu’on n’est pas sans inquiétude sur l’issue du débat dans la chambre. On craint que les députés, entraînés par la vivacité de la discussion, ne gardent pas la mesure que la commission aura apportée dans son travail.

Le cabinet, il est juste de le reconnaître, n’a pas été avare de projets de loi. Et cependant il n’a encore rien présenté sur les prisons, sur l’instruction publique, sur le conseil d’état, sur la colonisation de l’Algérie. Sur ce dernier point, le discours de la couronne a gardé un silence absolu et qui pourrait faire craindre la prolongation indéfinie de ce provisoire qui dévore inutilement nos soldats et les revenus de notre trésor. Les promenades militaires de M. Bugeaud et ses razzias, ses sévérités comme les actes de sa clémence, bref son épée, sa parole, même sa plume, ne suffisent pas pour fonder en Algérie un établissement solide, permanent, sur l’avenir duquel la France puisse compter. La vigilance et la régularité de l’administration seront sans doute de fort bonnes choses et fort nouvelles en Afrique, nous remercions la couronne de nous les avoir promises ; mais elles ne suffiront pas non plus à donner une base inébranlable à la domination française sur le sol africain. Sans une forte colonisation européenne, sans une colonisation civile, active, nombreuse, régulière et pourvue des capitaux nécessaires, rien n’est fondé pour nous en Afrique. Les soldats en occupent, en parcourent, en défendent le sol ; ils ne peuvent y créer une nation, une France africaine. Les soumissions des Arabes ne sont que des trèves. Ne pas le voir, ce serait un aveuglement volontaire. Qu’une guerre européenne éclate, et nous aurons tous les Arabes sur les bras. Forcés alors de ramener en France, non sans difficulté, la plus grande partie de notre armée, nous compromettrons le reste et nous nous exposerons à perdre les sommes énormes que l’Afrique nous aura coûtées et les établissemens militaires que nous y aurons construits à grands frais. Résultat inévitable, si le littoral de l’Algérie n’est pas occupé par une population chrétienne, française, solidement établie, fortement organisée, qui, aidée d’un petit corps de troupes, puisse se maintenir et défendre en même temps nos villes, nos ports, nos magasins, nos fortifications, nos arsenaux. En un mot, la France ne sera maîtresse assurée de l’Algérie que lorsque les côtes de la Provence et les côtes de l’Afrique ne seront plus étrangères les unes aux autres, et que la mer qui les sépare ne sera plus je voudrais presque dire qu’un grand fleuve traversant les départemens du même empire. Tous ceux qui sont comme nous frappés de l’évidence de ces vérités ont