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ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE EN FRANCE.

ils veulent arracher la jeunesse française à ces agens officiels de corruption, à ces empoisonneurs publics, qui enseignent l’athéisme au nom de l’état, et, dans l’impénétrable secret de leurs écoles et de leurs colléges, s’occupent incessamment à ruiner la base de toute religion et de toute morale. Cette philosophie qu’on attaque avec tant d’aigreur est pourtant la seule école de philosophie qu’il y ait aujourd’hui en France. Elle a été fondée, il y a vingt-cinq ans, dans des temps difficiles pour l’indépendance de la pensée, et elle est arrivée en 1830, avec les autres libertés du pays, à cet établissement officiel qui excite maintenant contre elle ces attaques inintelligentes. Quelle plaie profonde d’un siècle civilisé, si toutes ces philippiques ont autant de vérité que de véhémence ! Ce n’est plus ici, comme au XVIIIe siècle, une coterie philosophique n’ayant pour elle que ses écrits et la vogue des salons ; c’est un corps organisé, dépositaire de la plus précieuse part de l’autorité publique, ou plutôt c’est l’état lui-même qui distribue tous ces poisons, et contraint les familles à subir ce joug immoral. Ne semble-t-il pas qu’il n’y ait d’autre parti à prendre que de laisser toutes ces colères s’épuiser d’elles-mêmes et périr par leur propre exagération ? Nous avons vu un vénérable personnage entraîné par la verve de sa rhétorique jusqu’à soutenir publiquement dans les journaux que la question de savoir si un fils peut assassiner son père était aux yeux de M. Jouffroy une question prématurée. Basile eût-il cent fois raison, il ne peut rien rester d’une telle calomnie. L’Université, d’ailleurs, n’est pas un corps d’inquisiteurs ou de francs-juges qui ne siégent que dans des souterrains et le masque sur la figure ; elle ne fait pas jurer le secret sur ses doctrines aux élèves qu’elle rend tous les ans à leurs familles et à la société ; elle a, dans toutes les grandes villes de France, des facultés dont les cours sont publics ; ses membres publient des ouvrages que tout le monde peut consulter ; on a mille moyens d’étudier ses doctrines ailleurs que dans les diatribes de ses ennemis. Les gens modérés, les gens de bonne foi, laisseront-ils la lice à des déclamateurs passionnés dans une question capitale ? Et ces chimères qu’on invente tout exprès pour les combattre, ne faudrait-il pas en montrer le néant, ne fût-ce que par respect pour la morale publique ? Peut-être au fond n’est-ce pas telle ou telle philosophie que l’on attaque ; mais on veut, à travers l’éclectisme, atteindre la philosophie tout entière. Et en effet, qu’on y prenne garde : tandis que sous le nom du clergé on attaque les éclectiques comme ennemis de la religion, les philosophes humanitaires, qui ont trouvé pendant deux ans le chris-