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LES COLONIES PÉNALES DE L’ANGLETERRE.

dégradés, dit le rapport, rendent les maîtres soupçonneux, et l’habitude du soupçon étant une fois prise, les maîtres ne tardent pas à douter de leurs égaux et de leurs supérieurs aussi bien que de leurs inférieurs. De là, entre autres symptômes, l’impatience avec laquelle on reçoit les ordonnances du gouvernement et les décisions de la justice, quelque justes et fondées en raison qu’elles soient. L’absence de toute impulsion morale dans les rapports domestiques, et l’habitude d’obtenir l’obéissance par la force, donnent aux habitans de l’Australie un ton de hauteur et de dureté dans leurs transactions qui fait dégénérer en querelle toute différence d’opinions, et qui amène les plus lamentables désunions. »

À l’heure qu’il est, les colonies pénales sont divisées en deux partis, les émancipistes et les exclusionistes. Les premiers veulent que les émancipés continuent à être admis aux fonctions sociales, qu’ils puissent être officiers de police, jurés, magistrats, qu’ils jouissent en un mot de tous les priviléges constitutionnels. Les autres, qui attribuent la perversité croissante de la société coloniale à l’indulgence prématurée avec laquelle les condamnés y sont traités, prétendent élever une barrière absolue entre la population d’origine libre et la population déportée. C’est, avec plus de fondement, le même préjugé qui, dans les colonies à esclaves, sépare les blancs des noirs et des hommes de couleur. Mais les exclusionistes de Sydney se raidissent en vain contre les conséquences même de l’ordre social qu’ils ont dû accepter en y portant leur industrie. La force des choses, aussi bien que les prescriptions de la loi, favorise cet amalgame impur. Tant que l’Angleterre versera ses malfaiteurs dans les colonies australes, il faudra que ceux-ci, à l’expiration de leur peine, puissent y acquérir le droit de cité. C’est une dignité qui ne les élève qu’à condition d’abaisser son niveau.

Avec l’égoïsme qui est le propre des vieilles sociétés, l’Angleterre se consolerait peut-être d’avoir engendré, à six mille lieues de ses rivages, cette communauté sans exemple et sans nom, si elle avait ainsi diminué ses propres charges et amélioré ses mœurs ; mais l’événement a donné, sur ce point, le plus cruel démenti aux calculs et aux illusions de ses hommes d’état. On a beau expulser les grands criminels de la Grande-Bretagne et en déporter jusqu’à 5,500 par année, la quantité des crimes va toujours croissant : l’augmentation a été de plus de 100 pour 100 depuis vingt ans. Il n’y a que deux moyens d’obtenir, dans une société bien réglée, la diminution des délits. On les prévient, en arrêtant, par la ter-