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DISCOURS PARLEMENTAIRES.

en 1820 sous les drapeaux de l’ancien régime, mais sans que la France nouvelle le pût regarder comme ennemi… C’est un homme du monde dénué de principes généraux, mais non de morale pratique, et qui met sa conscience politique à ne pas compromettre son caractère privé[1]. » De nos jours, la scène politique est si mobile, que les rancunes ne sauraient être durables. Des événemens rapprochent ceux qui s’étaient combattus par des écrits, par des discours, et les intérêts sont plus forts que les phrases. La grande opposition que suscita le ministère de M. de Villèle réunit l’homme du monde dénué de principes généraux et le doctrinaire dogmatique. Dix ans plus tard, l’un et l’autre défendaient de concert un gouvernement nouveau, et peut-être M. Pasquier aurait d’assez bonnes raisons pour demander à M. Guizot de vouloir bien, dans un moment de loisir, recommencer son portrait.

M. le chancelier use de son droit quand il en appelle à des esprits moins prévenus que les partis qui, durant la restauration, le maltraitèrent si fort ; toutefois, il n’a pas dû se dissimuler les dangers d’une publicité solennelle et littéraire donnée à des discours politiques qui tirent presque toujours leur plus grande valeur de l’intérêt du moment. C’est une terrible épreuve, pour des œuvres parlementaires que d’être relues quand les circonstances qui les ont fait naître sont déjà loin. Il est donné à peu d’hommes de paraître encore orateurs, lorsque la tribune est fermée, lorsque l’auditoire a disparu, lorsqu’enfin, selon le mot de Buffon, ce n’est plus le corps qui parle au corps. Sous les formes et les replis de sa prose incorrecte, Mirabeau est encore vivant ; mais cet homme, privilégié entre tous, se sépare des autres orateurs modernes par l’abîme de ses passions et de son génie. Un souffle poétique anime encore les harangues de Vergniaud. Il est aussi des hommes qui se font toujours lire avec curiosité : ce sont ceux qui ont exercé sur leurs contemporains une influence tragique. Ainsi on cherche avidement dans les colonnes du Moniteur les harangues de Robespierre ; l’historien et le philosophe s’arrêtent long-temps sur les pages de ce rhéteur cruel et médiocre. Depuis que la charte nous a mis en possession du gouvernement représentatif, les œuvres de deux députés célèbres ont été rassemblées ; nous voulons parler des discours du général Foy et de Benjamin Constant. Jusqu’à quel point la gloire de ces deux orateurs

  1. Des Moyens de gouvernement et d’opposition dans l’état actuel de la France, par F. Guizot, 1821.