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VOYAGEURS AUX ÉTATS-UNIS.

rielles. Dickens prend son parti plus bravement ; sa plaisanterie est moins amère et plus aimable ; elle éclaire avec grace quelques particularités de la vie intime en Amérique.

Tyrone Power est un acteur. Il a le style vif, souple, facile, accidenté et nomade d’un mime qui court le monde. Il a vu les Américains par leurs meilleurs côtés, et c’est lui qui les juge avec l’indulgence la plus sympathique ; ils l’ont applaudi, il leur en sait gré. Rien de plus démocratique qu’un acteur. Cette habitude de la foule, cette servitude devant la masse, ce culte de l’apparence, qui plient le cou et courbent le front des plus nobles, des plus dignes, des Talma, des Kemble, des Garrick, sont essentiellement républicains. Il faut opposer Tyrone Power à Marryatt et à Basil Hall pour connaître les mérites et les qualités des citoyens de l’Amérique, trop sévèrement jugés par la plupart des Anglais.

Le capitaine Basil Hall est de cette race que l’Angleterre va perdre, race qui ne pouvait naître que dans une île, et que nous voyons poindre avec la première civilisation britannique ; race qui aime à voir pour voir, qui n’est satisfaite qu’en courant, qui sort de chez elle pour voir (to see sights), mot exclusivement anglais. « Dès ma première enfance, dit ce capitaine, je me suis désigné à moi-même un certain nombre de curiosités à voir, et je les ai vues. » Ces curiosités étaient le Japon, l’Amérique, l’Égypte et la Polynésie. Si tous ces touristes ont assez mal compris et jugé superficiellement les États-Unis, la comparaison de leurs récits donne à leur étude parallèle un caractère important ; ils se contredisent, mais ils s’éclairent.

L’élément démocratique anglais, s’étant détaché, vers le milieu du XVIIe siècle, des autres élémens de la constitution britannique, s’est réfugié en Amérique. Là il fait son œuvre tout seul. C’est lui qui donne le singulier spectacle auquel nous assistons. Comme ce même élément, pendant le cours du XVIIIe siècle, s’extravasa sur la France, et y produisit les grands effets moraux par lesquels nous sommes encore dominés, il se trouva que des deux côtés de l’Atlantique, la patrie de Franklin d’une part, et de l’autre le pays de Mirabeau et de Camille Desmoulins, suivirent une voie parallèle, malgré la diversité des races. Comment l’Amérique ne haïrait-elle pas l’Angleterre ? Elle représente la portion puritaine, rebelle et démocratique, qui n’a pas voulu s’accommoder originairement de l’aristocratie anglaise. Comment la France ne serait-elle pas ce qu’elle est ? Elle représente le tiers-état long-temps asservi, maintenant triomphant et le cœur plein d’un fiel amer ? L’envie et la haine de la démocratie