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VOYAGEURS AUX ÉTATS-UNIS.

tout-à-fait injuste de croire sur parole les plaintes et les critiques des touristes de la Grande-Bretagne. Ils ne se font pas faute d’avouer que, sous le rapport de l’instruction et de la politesse, les femmes américaines sont très supérieures à leurs frères et à leurs maris Comment cela serait-il autrement ? Et quel besoin les Américains ont-ils aujourd’hui de ce raffinement et de cette politesse ? Quel bien leur ferait un Dante, un Raphaël ou un Molière ? Ils ont une tâche bien plus pénible à mener à bonne fin. C’est à eux qu’il faut pardonner la rude ambition, le négoce ardent et impitoyable. La patrie en profite ; les individus y perdent. L’activité qu’on exagère abrutit. C’est le repos, la rêverie, l’oubli des nécessités du jour, qui font naître toutes les graces et toutes les délicatesses. N’attendez rien de ce pivot de fer brûlant qui s’appelle un homme, et qui roule éternellement dans un cercle d’activité dévorante ; il vous broiera et vous déchirera en lambeaux, si vous êtes sur la route de son intérêt.

On comprend d’avance quelle espèce d’injustice nous reprochons aux voyageurs anglais en Amérique. Un pays qui se forme, ils le jugent comme s’il était mûr et accompli. Ils ne voient pas que les qualités les plus aimables et les plus appréciées dans le monde ancien seraient des vices et des dangers, appliquées au monde nouveau.

Quelques coteries de Philadelphie et de New-York essaient de calquer leurs usages sur ceux de Londres et de Paris ; c’est cette portion affectée des mœurs américaines que M. Grundt a saisie avec assez de bonheur et reproduite avec un sentiment un peu grossier du ridicule. Quant à M. Dickens, il est beaucoup plus malin, et ses portraits se distinguent par plus de finesse et de gaieté. Il ne s’arme pas d’une folle colère contre la démocratie, mais il signale les bons côtés qu’elle met en relief, les germes bienfaisans qu’elle développe. Parmi ces qualités que les institutions nouvelles de l’Amérique ont évidemment protégées, on trouve en première ligne l’activité, puis la patience, la complaisance mutuelle et la douceur dans les relations. C’est un grand maître de philosophie que la foule. Cette masse aveugle, cyclope qui n’a pas d’œil et qui va par ses instincts, force chaque membre de la communauté à ne pas exagérer sa propre valeur et à compter pour beaucoup ses semblables. On se porte mutuellement secours, on s’entr’aide, on tolère le voisin.

L’habitude de la démocratie a même donné aux Américains du Nord une sorte de politesse banale, une complaisance d’assentiment