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CRISE DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

mier soin. Les sages et les heureux du siècle seraient alors accourus à lui, et non pas seulement des affligés de tout nom, de pauvres péagers et de saintes femmes ; magnifique cortége de douleurs consolées et de ferventes adorations qui se pressait autour de cet humble roi. Le rédempteur est sans doute aussi le démiurge : mais M. Schelling intervertit les rôles : du subalterne il fait le premier, comme il arrive dans ces évangiles désavoués par l’église et tout brodés de légendes merveilleuses et d’imaginations orientales. Ce n’est là qu’une philosophie apocryphe du christianisme.

M. Schelling ne satisfait donc ni aux exigences de la logique ni à celles de la liberté ; il ne concilie pas la foi et la science ; il les mécontente toutes deux. Il a montré que la raison conduit inévitablement au panthéisme ; il a rendu plus vif le besoin de le dépasser, il n’en a pas donné les moyens.

M. Schelling ne fait pas école à Berlin. Le roi lui témoigne toujours une haute faveur. Ce prince, qui médite Platon dans l’original, fait autographier le cours de M. Schelling et se le fait lire le soir. C’est pour l’heure la philosophie officielle. Son succès ne va pas plus loin. Les hégeliens en triomphent, et prennent fort bien leur parti de la malveillance que leur montre le gouvernement. Un petit martyre n’est pas sans avantage pour qui semble avoir raison. La lutte de M. Schelling et des hégeliens a du reste perdu beaucoup de son importance, depuis qu’on s’est aperçu qu’elle ne déciderait pas la querelle qui divise aujourd’hui les esprits sur le christianisme.

M. Schelling ne fait guère de conversions ; on ne parle que d’Henning et du romancier Mundt. Cependant l’orage grossit : M. Schelling ne ménage pas ses adversaires ; il les traite durement, et ceux-ci se vengent. Chacun se met de la partie : les linguistes cherchent querelle à ses étymologies, les théologiens à son exégèse, les philosophes le prennent en défaut de logique. On va même jusqu’à contester ses services passés. Il en est qui l’accusent de s’être fait autrefois le plagiaire de Spinosa et de Jacob Bœhme. Ceci devient de l’injustice et de la diatribe. Sauf les élèves de l’excellent théologien Néander, et les plus clairvoyans ne doivent pas être sans défiance, la jeunesse n’est pas pour M. Schelling. Elle court aventureusement aux ruines que fait la logique de Hégel. Elle a protesté de sa fidélité en donnant une sérénade à Marheineke, et ce patriarche de la théologie hégelienne a pu se vanter belliqueusement, dans son allocution, que l’ennemi n’avait pas gagné un pouce de terrain.

Le grand débat qui se poursuit en Allemagne est donc loin d’être