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pas de sang mêlé, il tenait d’une part au commerce et d’une autre aux journaux. C’est là, ô philosophes, l’aristocratie de la démocratie. Un journal de New-York, dirigé par un nommé Bennett, ami de Colt, trouve la cause du saleur, du cuisinier humain, bonne et curieuse à défendre, et il la défend. Il ne nie pas la salaison, ce serait absurde et maladroit ; il l’avoue. Apprentis avocats des causes noires, jeunes suppôts de ce grand art des alchimistes de la parole, instruisez-vous et apprenez ce que peut l’opinion égarée !

Notre journal new-yorkiste s’y prend ainsi : le lendemain du procès, son premier New-York, en gros caractère, donne la description de la séance arrangée en mélodrame. Voici la boîte, les morceaux, le couperet, les habits ; quel supplice pour l’accusé ! Voici sa femme, ses enfans, ses amis ! Pauvre homme, dans quelle surexcitation et quelle ivresse se trouvait-il plongé quand il a salé son semblable ! Les dix heures de supplice du criminel pendant le procès, sa douleur, son repentir, sa confession (confession fausse qui le disculpe), occupent deux ou trois pages ; plus le journaliste va, plus il s’attendrit. Subir une telle torture, dit-il, c’est avoir été puni d’une manière au moins suffisante. Ô Bennett ! dramaturge magnifique ! je n’ai pas lu deux de tes pages que je me sens convaincu. Ce vertueux assassin me fend le cœur. Lorsque le jury passe huit heures à délibérer, Colt ne devient pas seulement un objet de pitié, c’est un héros. Ô Bennett ! « Colt étend son manteau sur les banquettes et s’endort paisiblement, pendant que sa mort ou sa vie se décident. » Il dort, ce juste, et le président du jury vient d’une voix tremblante lui annoncer la sentence. Plusieurs membres du jury fondent en larmes. Colt est foudroyé. Enfin Bennett, l’admirable Bennett, s’écrie : « Sera-t-il pendu ? C’est la question. Lui accordera-t-on une révision du procès ? Et le gouverneur osera-t-il lui donner sa grace ? »

Il n’a pas osé donner cette grace, mais on n’a pas osé punir le meurtrier ; la main du bourreau n’a pas touché le protégé de l’opinion, mais Colt s’est suicidé après trois ans de délais. Il faut lire ce que rapportent au sujet de la presse en Amérique tous les écrivains anglais et américains. Quelques citoyens des États-Unis ont eu le courage de dire la vérité, et ils ont couru des dangers très réels. « La liberté de la pensée et de la parole, dit quelque part un philosophe allemand, ne semble pas faire de grands progrès sur la face du globe. Déjà un Anglais m’a dénoncé à la malédiction publique, comme ayant osé dire que Byron et Walter Scott écrivaient mieux que la plupart de leurs successeurs. Déjà un Italien de beaucoup d’esprit