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condamnent d’avance toutes nos observations. Si on les loue, ils acceptent avec une royale bienveillance l’éloge comme un hommage qui leur est dû, et daignent même quelquefois témoigner qu’ils sont satisfaits. Si on les critique, oh ! alors il se fait parmi ces régens de la pensée un terrible mouvement. Tous les journaux, grands et petits, sonnent le tocsin ; tous les folliculaires courent aux armes. C’est une levée de drapeaux générale, une vraie croisade. L’Allemagne, divisée en tant de petits états et de petites villes, ne forme plus qu’un seul empire dès qu’elle se croit attaquée par l’étranger, et la presse, soumise à tant d’entraves, bâillonnée par tant de règlemens sévères, s’en donne à cœur-joie quand elle trouve une occasion de lacérer un pauvre homme que nul article de censure ne protége. La déclaration de guerre, le mot de ralliement, courent avec la poste d’une province à l’autre, agitant les clubs d’étudians et les habitués des cabinets de lecture. Dans l’espace de quelques semaines, le critique qui a osé émettre un doute sur le profond savoir de l’Allemagne, contredire une de ses doctrines, blâmer une de ses tendances, est poursuivi, insulté dans six cents feuilles périodiques, traîné au grand marché de la librairie, et marqué d’un sceau indélébile de réprobation. Quand il en viendrait à produire un chef-d’œuvre vingt ans après cette fatale campagne, on lui refuserait encore toute espèce de mérite, car les rancunes de l’Allemagne sont implacables ; la mort même ne les apaise pas, et, comme l’a dit M. Edgar Quinet, si vous leur échappez vivant, comptez qu’elles barbouilleront d’encre votre squelette. N’ont-ils pas, dans leur sotte ignorance, nié le talent d’Alfred de Musset, en défendant les plates et triviales strophes de leur Becker, et ne voyons-nous pas chaque jour encore leurs insolens journaux insulter niaisement aux plus belles gloires de la France ?

En reprenant cette revue littéraire de l’Allemagne, nous devons nous attendre à soulever contre nous les invectives de la presse allemande, mais nous nous résignons d’avance à nous voir traduits à la barre de la Gazette de Leipzig, injuriés dans les journaux de M. Kühn et de ses adhérens. Que nous importe la colère de cette école vaniteuse et stérile, qui n’a pas su respecter même le génie de ses maîtres, et qui, après avoir porté une main sacrilége à l’immortelle couronne de Goethe et de Schiller, s’est posée comme la régénératrice de l’art et des lettres en montrant au public, d’une main triomphante, quelques chansons immorales et quelques romans imités de Candide ? Il est au milieu de cette jeune Allemagne, qui a pris son orgueil pour de la force et son scepticisme pour du génie, il est une autre Allemagne laborieuse et féconde, réfléchie et puissante. C’est celle de tous ces graves professeurs d’université, qui continuent patiemment dans leur retraite austère leur cours d’enseignement et d’étude, de tous ces philologues qui se dévouent aux recherches les plus pénibles de l’érudition, de tous ces historiens qui font revivre à nos yeux, sous un jour nouveau, des annales inconnues ou défigurées. Cette Allemagne-là, nous l’aimons, nous la respectons. Les hommes qui lui appartiennent ont plus d’une fois éclairé la France par leurs travaux et n’ont pas nié ce qu’ils devaient à la France. Nous aimons leurs mœurs simples,