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LA PRESSE ET LES ÉLECTIONS ESPAGNOLES.

échouer et à réussir ; que, si le résultat du scrutin n’était pas favorable au parti, il perdrait de la force morale que lui a donnée depuis deux ans son attitude expectante ; que la rentrée des modérés dans la lice aurait probablement pour effet d’effrayer la grande masse des exaltés et de les rejeter dans les bras d’Espartero ; qu’enfin, dans le cas où l’on aurait la majorité, on se trouverait dans le plus grand embarras, et qu’on serait amené probablement à appuyer Espartero. De l’autre côté, on répandait que rester plus long-temps en dehors des affaires, c’était s’annuler complètement ; que l’on devait, avant tout, s’attacher à sauver la monarchie constitutionnelle, à empêcher l’établissement de la dictature militaire, à prévenir tout attentat sur la personne de la reine ; que le parti avait tiré de sa retraite tout le bénéfice qu’il en pouvait tirer ; que la rupture du chef de l’état avec la plupart de ceux qui l’avaient élevé était désormais complète et irrémédiable, et que, dans tous les cas, il valait mieux s’exposer à maintenir la régence pendant vingt mois que risquer de tout perdre en abandonnant tout.

C’est cette dernière opinion qui l’a emporté. La réunion a nommé une commission présidée par le marquis de Casa Irujo, et dont le personnage principal est M. Isturiz, l’ancien ministre, le plus courageux défenseur qu’ait encore eu en Espagne la résistance. Un manifeste à la nation a été aussitôt publié. Ce manifeste invite les électeurs modérés à se rendre aux élections dans l’intérêt de la monarchie et de la liberté. Il n’y est pas dit un mot du régent. Pour calmer les inquiétudes possibles des exaltés, le parti modéré déclare qu’il n’aspire pas à la majorité dans les chambres, qu’il ne veut que porter secours à ceux qui défendront la constitution et la reine.

Il nous semble que les modérés ont pris la bonne voie. Sans doute, s’ils n’avaient voulu que renverser Espartero, il aurait mieux valu, pour eux, s’abstenir et laisser les ultrà-révolutionnaires faire justice eux-mêmes de l’homme qui a été long-temps leur idole ; mais quel que soit le profond ressentiment des anciens partisans de la reine Christine contre le duc de la Victoire, il ne doit pas aller jusqu’à compromettre la paix de l’Espagne et l’avenir de la monarchie. Dans les terribles complications qui peuvent survenir à tout moment, il est bon que quelqu’un ait un droit légal pour rappeler à haute voix les vrais principes. L’important est d’empêcher qu’Espartero ne mette la reine de côté et la constitution dans sa poche ; toute autre question n’est que secondaire devant celle-là. Quand le parti modéré sera représenté dans les cortès, il verra ce qu’il aura à faire. S’il peut sans danger satisfaire son juste courroux, il le fera ; sinon il attendra. La majorité de la reine arrive dans moins de deux ans ; pourvu que la minorité ne soit pas prolongée, l’heure de la justice n’est pas loin.

Aussi bien, depuis quelque temps, l’Espagne tout entière semble aller au-devant du parti modéré. Dans les élections municipales qui viennent d’avoir lieu, des modérés ont été nommés presque partout, et ce fait est d’autant plus remarquable que les électeurs modérés proprement dits se sont abstenus. Le