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célèbre conte d’Hoffmann. Quoi d’étonnant dès-lors que la musique allemande, romantique par essence, ne se prête en aucune façon au genre bouffe ? Quant à notre musique française, il est bien convenu qu’elle a l’esprit pour qualité distinctive, et que cette qualité-là exclut trop souvent les autres, tant celles de sentiment que celles d’inspiration. Parlez-moi des Italiens pour savoir remuer le fou rire ; eux seuls possèdent le don du vrai bouffe, eux seuls excellent dans ce genre, privilége (si toutefois c’en est un en dehors du théâtre) de la nature méridionale. Quel autre qu’un Italien saura jamais faire parler un orchestre et réciter les voix ? Il est vrai qu’une fois lancés dans leur élément, rien ne les arrête, et qu’ils ne sont pas gens à reculer devant les plus incroyables caricatures. Mais qu’importe le goût en pareille affaire ? On connaît ce virtuose crotté qui s’affuble d’une défroque de marquis et baragouine dans les carrefours quelque chanson vénitienne qu’il accompagne lui-même en râclant sur un affreux violon, plus faux encore que sa voix nasillarde ; c’est pourtant là le dernier rejeton de l’opéra bouffe italien, rejeton avili, dégradé, mais qu’on ne peut désavouer, et dont le bonhomme Géronimo et le seigneur Magnifico lui-même, lorsqu’ils le rencontrent dans leurs promenades du soir, ont plus d’une fois, je suis sûr, serré la main dans l’ombre en y glissant quelque furtive aumône. Le Don Pasquale de M. Donizetti se rattache, lui, par les liens les plus purs et les plus légitimes à cette homérique lignée de radoteurs sublimes que le vieux Lablache affectionne tant. On sent à chaque pas les plus aimables traditions de Cimarosa dans cette musique ingénieuse, facile, charmante, écrite avec une exquise correction ; et à ce propos il est vraiment impossible de ne point admirer le talent singulier que possède M. Donizetti, de savoir s’approprier ainsi tous les styles, toutes les manières. C’est le génie de l’imitation, de l’arrangement. Naguère, en écrivant pour Vienne, il recherchait dans Linda di Chamouni les formules plus compliquées de l’instrumentation allemande. Aujourd’hui le voilà nageant en plein dans les eaux limpides et si pures de Cimarosa, dans cette transparence divine qui nous fait penser au lac d’azur de la baie de Naples. Étonnez-vous après cela de cette fécondité qui ne connaît pas de bornes ! Pour les esprits de ce genre qui savent s’approprier la pensée d’autrui et faire leur profit de toute chose, les conditions de l’œuvre se simplifient beaucoup, on l’avouera. Lorsqu’ils se mettent au travail, le plus difficile est déjà fait. On peut dire que M. Donizetti a fourni à peine la moitié de sa carrière, et déjà il a imité Mozart, Rossini, Cimarosa, Bellini ; qui n’a-t-il pas imité, qui n’est-il pas destiné à imiter encore ? Dès qu’un sujet nouveau à traiter se présente il sait fort bien où s’adresser, il connaît d’avance les modèles et les fréquente. Là, selon nous, est sa supériorité. En empruntant aux autres ce que son propre génie lui refuse (quel génie suffirait à si terrible tâche ?), il ne s’abdique jamais complètement lui-même, il arrange plutôt qu’il ne copie ; en un mot, il imite en maître, non en plagiaire. Ainsi, dans ce Don Pasquale, où le style de Cimarosa est partout, vous ne citeriez pas un motif qui rappelle telle ou telle phrase du Matrimonio. Ce que M. Donizetti a pris