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VAILLANCE.

cieux et poétique instinct s’y révélait en toutes choses. Les murs étaient cachés par des cadres de papillons et de scarabées, par des rayons chargés de livres, de minéraux, de plantes desséchées et de coquillages. Au-dessus du lit, blanc et modeste comme la couche d’une vierge, pendaient un christ d’ivoire et un petit bénitier surmonté d’un rameau de buis. Près du chevet, un violoncelle dormait debout dans son étui de bois peint en noir. Une table couverte de palettes de porcelaine occupait le milieu de la chambre. Tous les meubles étaient de noyer, mais si propres et si luisans, qu’on pouvait aisément s’y mirer. Une natte des Indes étendait sur le carreau son fin tissu de joncs. Le plafond, remplacé par une glace sans tain, que les goélands effleuraient parfois du bout de leurs ailes, laissait voir la voûte céleste, tantôt bleue, tantôt voilée de nuages. C’était dans ce réduit que Joseph partageait ses jours entre l’étude, la lecture, les arts et les exercices pieux. Il aimait les poètes et composait lui-même dans la langue de son pays de chastes poésies, suaves parfums qu’il ne confiait qu’aux brises marines. Il jouait du violoncelle avec ame et peignait avec goût les fleurs qu’il cultivait lui-même. L’amour divin suffisait aux besoins de son cœur, et c’était au ciel que remontaient les trésors de tendresse qu’il en avait reçus. Jamais aucun désir n’avait altéré la sérénité de ses pensées ; jamais aucune image décevante n’avait troublé la limpidité de son regard ; tous ses rêves s’envolaient vers Dieu. Il ne manquait jamais d’aller, le dimanche, entendre la messe et les vêpres à Bignic. On l’adorait au village et aux alentours, au rebours de ses frères, qu’on n’aimait pas, à cause de leur fortune qu’on enviait, et dont l’origine, au dire de quelques-uns, faisait plus d’honneur à leur courage qu’à leur probité. Joseph lui-même n’était pas là-dessus sans quelques remords. Il avait poussé les scrupules jusqu’à consulter le curé de Bignic, pour savoir s’il pouvait, sans démériter de Dieu, accepter la part de butin qui lui revenait dans la succession de son père, ajoutant qu’il y renoncerait et qu’il vivrait de son travail avec joie, plutôt que de s’exposer à offenser son divin maître ; ce qu’il aurait fait à coup sûr, si le vieux pasteur ne l’en eût détourné en l’exhortant toutefois à sanctifier son héritage par de bonnes œuvres, et à rendre aux pauvres ce que son père avait pris aux riches. Pour en agir ainsi, Joseph n’avait pas attendu l’exhortation du bon pasteur ; les malheureux le bénissaient. Sur l’emplacement de la cabane où il était né, il avait fait élever une chapelle et y avait fondé à perpétuité douze messes par an pour le repos de l’ame de son père. Il avait aussi fondé à Bignic une école