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ses sens. Tout ce que je puis dire, c’est que jusqu’au moment où je l’ai détachée pour l’envoyer à miss Jane comme un gage de ma respectueuse tendresse, cette relique a toujours été sur mon cœur.

— Toujours ! s’écria Joseph.

— Toujours, répéta le jeune homme. Mais, monsieur, ajouta-t-il, ne sauriez-vous me dire, à votre tour, où tendent toutes ces questions ?

— Vous dites donc, s’écria Joseph en poursuivant le cours de ses idées, vous dites que cette relique a reposé de tout temps sur votre poitrine ! Vous ignorez, dites-vous, quelle main l’a suspendue à votre cou ? Mais alors, monsieur, ajouta-t-il avec quelque hésitation et comme en faisant un effort sur lui-même, vous n’avez jamais connu votre famille ?

— Vous auriez dû, monsieur, répondit froidement sir George, le deviner à mon silence et à ma tristesse toutes les fois qu’au Coät-d’Or vous m’avez fait l’honneur de m’interroger à ce sujet. Vous auriez dû surtout le comprendre à ma prompte résignation, lorsqu’il s’est agi pour moi de quitter les lieux où je laissais mon ame tout entière.

— Parlez, monsieur, parlez ! s’écria Joseph ; c’est un ami qui vous en supplie. Interrogez votre mémoire, consultez bien vos souvenirs, racontez ce que vous savez de votre vie.

— En vérité, monsieur, répliqua sir George surpris autant qu’ému, je ne sais si je dois…

— Si vous devez ! s’écria Joseph éperdu ; si vous devez ! répéta-t-il à plusieurs reprises. Cette chaîne a été tressée avec les cheveux de ma mère ; cette relique, c’est moi qui l’attachai, le jour de sa mort, au cou de mon plus jeune frère ! C’est bien elle, voici la date que j’y gravai moi-même avec la pointe d’un couteau.

À ces mots, George pâlit, et tous deux restèrent quelques instans à se regarder en silence.

— Ô mon Dieu ! murmura George en se parlant à lui-même de l’air d’un homme qui cherche à se ressouvenir ; que de fois ne m’a t-il pas semblé, sous le toit de mes hôtes, entendre comme un écho lointain de mes jeunes années ! Que de fois n’ai-je pas cru reconnaître ces grèves solitaires ! Que de fois ne me suis-je pas surpris à chercher la trace de mes pieds d’enfant sur le sable de ces rivages !

Puis il reprit après quelques minutes de recueillement :

— Je ne sais rien de mon enfance. Il me semble que la mer fut mon premier berceau. Tout ce qu’ont pu m’apprendre ceux qui