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semaine, Jeanne était tout-à-fait rétablie. Il avait été décidé que toute la famille accompagnerait George ; car, bien qu’il eût recouvré sa patrie, son nom et sa famille, Hubert n’en restait pas moins, jusqu’à nouvel ordre, l’humble sujet de l’Angleterre. En effet, ils s’embarquèrent tous à bord du Waverley, et ce fut un voyage véritablement enchanté, excepté toutefois pour Christophe et pour Jean, qui se résignèrent difficilement à mettre le pied sur le sol de la perfide Albion. Ils déclarèrent que Londres était un horrible bourg, bien inférieur, pour les monumens, à Bignic et surtout à Saint-Brieuc. Ils avaient, dans les rues, une certaine façon de regarder les gens, qui faillit maintes fois leur attirer une mauvaise affaire. Jean, qui s’était imaginé jusqu’alors que Saint-Hélène était une prison de Londres, demanda à visiter le cachot où son empereur était mort. En moins de quelques jours, George en eut fini avec le conseil d’amirauté britannique. Jean et Chistophe s’y présentèrent pour l’appuyer de leur témoignage. Jean trouva le moyen de faire intervenir la grande ombre de Napoléon, et s’exprima en termes si malséans pour l’Angleterre, qu’on fut obligé de lui imposer silence et de le mettre poliment à la porte. Le jeune homme n’en arriva pas moins à son but. Il offrit sa démission, qui fut acceptée, et un mois ne s’était pas écoulé depuis leur départ de la France, qu’ils en avaient regagné les rivages. Ce ne fut qu’à la mairie que Jeanne apprit qu’elle épousait son oncle. On peut juger de sa joie et de ses transports, en voyant qu’elle continuerait de porter le nom que Joseph, Christophe et Jean lui avaient appris à aimer.

À l’heure où nous achevons ce récit, sept années ont passé sur le mariage de nos deux jeunes gens ; c’est toujours dans leur cœur le même amour et la même tendresse. Jeanne n’a rien perdu de sa grace et de sa beauté ; grave et souriante, comme il sied à une jeune mère, elle est plus que jamais l’orgueil et la joie du Coät-d’Or. Deux beaux enfans jouent à ses pieds, et ses vieux oncles redoublent autour d’elle de respect et d’adoration ; — car c’est toi, ma fille, lui disent-ils souvent, c’est toi qui nous a ouvert les voies bénies du devoir et de la famille.


Jules Sandeau.