Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/649

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
643
LA RUSSIE.

sens, par les promesses de toute sorte du gouvernement, déclarèrent en 1838 qu’ils se ralliaient, eux et les fidèles de leurs diocèses, à l’église russe ; mais leur métropolitain ne voulut jamais adhérer à ce pacte menteur, et la moitié des membres du clergé ruthénien le rejeta avec la même opiniâtreté.

Le gouvernement poursuit son œuvre d’oppression par tous les moyens qui sont en son pouvoir ; rien ne lui coûte pour en venir à son but, ni les mesures les plus rigoureuses, ni la violation de tous les principes de justice. La guerre qu’il a livrée à l’église ruthénienne, il la dirige à présent contre l’église catholique de Pologne avec la même audace et la même violence. En 1839, il a publié une ordonnance en vertu de laquelle tout catholique condamné pour quelque crime au knout, au travail des mines, à l’exil, est libéré de tout châtiment s’il se fait schismatique. En 1842, il s’est approprié, par un simple ukase, tous les biens de l’église catholique situés dans l’empire. Par un autre édit, il ordonne que tout enfant né d’un mariage mixte, c’est-à-dire grec et catholique, sera de droit élevé dans la religion grecque. Le conseil chargé spécialement de la direction des affaires catholiques embarrassait encore le gouvernement : il lui a enlevé son autorité et l’a incorporé au synode russe. L’académie ecclésiastique de Wilna pouvait de temps à autre donner un utile conseil ou prêter un appui aux catholiques opprimés : il l’a transférée à Pétersbourg.

Tous ces actes d’illégalité, tous ces abus de pouvoir, s’accomplissent silencieusement sous le manteau de la censure et du despotisme. Nul journal n’ose signaler un seul de ces faits scandaleux. La police russe suit de près les opprimés ; leurs lettres sont ouvertes, leurs relations épiées, et leurs plaintes n’arrivent pas au-delà des frontières. Le pape lui-même a long-temps ignoré les souffrances, les angoisses du clergé catholique de Russie et de Pologne. Le gouvernement russe, habile à profiter de toutes les circonstances, déclarait que, puisque le souverain pontife n’intervenait point dans cette lutte de l’église impériale contre l’église ruthénienne, c’est qu’il lui importait peu que le clergé catholique se ralliât au rite grec. Le souverain pontife a su enfin les persécutions exercées contre les catholiques, il a publié les documens qui constatent l’œuvre de spoliation et de cruauté du gouvernement russe, et il a adressé à l’empereur Nicolas de grandes et touchantes paroles[1].

Cette noble voix du père de l’église sera-t-elle entendue ? Cette plainte profonde, partie de la capitale du monde chrétien, pénétrera-t-elle dans le cœur de celui vers qui elle est dirigée ? Hélas ! nous n’osons le croire. L’empereur de Russie veut avoir l’omnipotence absolue, il a déjà celle des nobles, de l’armée, du peuple, il lui faut encore celle de l’église : la crainte qu’inspirent ses agens dans les provinces, les rigueurs qu’il emploie, la coupable indifférence des autres nations, tout le sert dans ses projets. Il veut user du des-

  1. Allocuzione della santita di nostro signore Gregorio. P. P. xvi. Roma 1842. 1 vol.  in-folio.