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LA LITTÉRATURE ILLUSTRÉE.

de boutique de nos romanciers les plus féconds, qui avaient sans nul doute besoin des bons offices de la gravure pour se faire relire.

Alors la gravure s’est trouvée avoir une librairie spéciale, une population active de producteurs. Elle est devenue triomphante, souveraine. Elle n’a plus voulu se mettre uniquement au service de la littérature et en buriner les gloires. Lorsque ses premières tentatives eurent réussi, lorsque par le fait même du succès il se fut établi des réputations de vignettes, qu’il se fut créé des génies sur pierre et sur bois, alors les prétentions de la gravure ont grandi, elle n’a plus voulu traduire le texte, mais le dicter : seconde période des publications pittoresques.

On s’est servi de tout ce qui pouvait fournir matière ou motif à dessin. On a fait des Jardins des Plantes, des Français peints par eux-mêmes, des Animaux peints par eux-mêmes ; les écrivains n’ont eu d’autre travail que de commenter, expliquer et développer l’œuvre du crayon. Les diableries, les almanachs, les physiologies, ont été exécutés sur une large échelle. Lorsqu’on voit les éditeurs de cette littérature pittoresque dépenser pour la publication de certains ouvrages dix ou douze fois le prix d’un volume de Châteaubriand ou de Lamartine, on est en droit de se demander quelle est cette littérature si dispendieuse qui charge la librairie française d’un budget annuel si considérable. Cette prétendue littérature, née de l’illustration, n’est autre chose qu’une littérature de foire, de colporteurs, de femmes et d’enfans. Comme elle ne s’adresse pas à l’esprit d’hommes sérieux, mais à la curiosité de tous les passans ; comme elle tend à devenir populaire par l’avilissement du sujet et la forme du langage, elle produit des œuvres d’un esprit grossier. Faite pour la rue et l’étalage aux vitres, elle a pris les farces et les grimaces des comiques de la rue. Aussi tous les éditeurs de pittoresques ne sont préoccupés que d’une seule question à résoudre : trouver ce qu’ils nomment une idée à exploiter. Le plus souvent, ce sera quelque sujet grotesque ou vulgaire, lequel pourra prêter davantage aux fantaisies du dessinateur, ou bien encore quelque sujet de mode ou de costume qui plaira au monde ignorant et dissipé des jeunes gens de famille. Jusqu’à présent, la littérature avait voulu satisfaire les nobles cupidités de l’intelligence ; elle cherchait son auditoire dans l’aristocratie des ames. Aujourd’hui, elle ne prétend plus, par les ouvrages pittoresques, amuser que les oisifs et les badauds ; elle cherche son public dans les classes les moins lettrées, Aussi toutes les variétés d’ouvrages