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profonde, fine, caustique, du romancier, du comédien ou du moraliste ; il y a encore une science consommée du dessin. Il a su le premier élever jusqu’à l’art, jusqu’au style, nos costumes et nos modes. Personne n’a saisi comme lui l’expression particulière de forme que les châles, les mantilles, les robes, les coiffures, peuvent prendre, combinés avec les attitudes et la démarche des femmes. Il a démontré que l’on pouvait tirer parti de tous les ajustemens, même de ceux qui, par leur vulgarité long-temps réfractaire à l’art, dérangent le plus les idées reçues d’élégance et de beauté. Il a donné à nos modes nouvelles, à nos intérieurs, à ces mille détails du luxe moderne, cette poésie saisissante que nous admirons dans les gravures d’après Chardin. Il est allé plus loin : il a reproduit les formes et les chairs du corps qui se laissent plutôt deviner que voir sous les draperies. Il a été le biographe de ces existences sensuelles et voluptueuses qui envahissent toujours plus d’espace dans la civilisation des grandes villes, et qui remplacent les hétaïres de la Grèce.

Cette même qualité d’impression, que M. Gavarni possède en représentant les mœurs et les modes de notre pays, M. Raffet l’a transportée dans la reproduction des costumes et des mœurs de la Russie. Comme exécution, comme science des procédés de la lithographie, M. Raffet a laissé derrière lui tous les autres artistes, et cependant, lorsque l’on compare les dessins qu’il a faits pour des illustrations d’ouvrages littéraires avec ceux qu’il a faits uniquement pour traduire des inspirations directes tirées de son imagination ou de la nature, on s’aperçoit que la manie des illustrations pittoresques n’est pas moins funeste aux dessinateurs qu’aux écrivains.

À côté d’eux, M. Grandville se traçait une voie particulière. Il prêtait aux animaux les expressions et les poses humaines ; il tentait l’apologue dans le domaine du dessin. C’était une entreprise impossible, mais que des inspirations souvent heureuses paraissent justifier chez M. Grandville. Le fantastique et le surnaturel ne peuvent appartenir qu’à la seule poésie ; l’esprit oublie, dans l’entraînement de la fiction poétique, la réalité des objets. L’homme se fait, dans la solitude de la pensée, du monde chimérique un monde possible ; mais la peinture n’a pas cette faculté. Elle ne peut dénaturer ostensiblement ni directement aux regards les proportions des objets, se soustraire aux lois d’espace et d’étendue, détruire la logique invincible des yeux, qui ne veulent accepter que les formes qu’ils ont vues, et sous la configuration exacte où ils les ont vues.

Même dans le champ beaucoup plus vaste de la littérature, l’emploi