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JOURNAL D’UN PRISONNIER DANS L’AFGHANISTAN.

chef fut obligé de s’arrêter un instant, et, en ôtant son turban, ce qui est le dernier appel que puisse faire un musulman, de les prier d’épargner la vie de son ami. En montant une butte, le cheval tomba, le prisonnier fut avec peine arraché à la rage de la foule ; le sirdar accourut et fit une charge pour le secourir ; le chef qui le protégeait se mit au-devant de son corps pour le couvrir, et reçut un coup de sabre. Ce fut ainsi que le capitaine Mackenzie put arriver jusqu’au fort, où il trouva le capitaine Lawrence, sauvé comme lui, mais épuisé par la course furieuse qu’on lui avait aussi fait faire, et par les coups qu’il avait reçus.

Les chefs vinrent successivement les rejoindre dans le fort. Un vieux mollah ou prêtre musulman fut le seul qui osât flétrir ouvertement et intrépidement la conduite de ses frères ; il s’écria que cette trahison infâme était un déshonneur pour l’islamisme. Mahomed-Akbar dit aux prisonniers que sir William et le capitaine Trevor étaient en sûreté, mais, au même instant, on leur tendait par une fenêtre la main sanglante et mutilée du malheureux envoyé. Comme ils n’étaient pas en sûreté dans le fort, qui recevait continuellement des assauts, ils furent emmenés au milieu de la nuit dans la ville. Ce fut la maison du sirdar qui leur servit d’asile. Ils y retrouvèrent le capitaine Skinner, celui qui avait porté à sir William les fatales propositions qui l’avaient trompé. Le capitaine Skinner, n’ayant sa liberté que sur parole, était revenu se constituer prisonnier.

Les officiers anglais furent convenablement traités, et les chefs barbares cherchèrent à renouer les négociations. Le capitaine Lawrence fut logé chez Amenoulah-Khan, qui lui montra la lettre que sir William avait écrite au sirdar. Le 29 décembre, il fut renvoyé au camp avec une escorte. Le lendemain, les capitaines Mackenzie et Skinner apprirent que le major Pottinger avait renoué les négociations, et ils furent aussi reconduits au camp, déguisés en Afghans pour plus de sûreté.

Que faisaient les Anglais dans leur camp pendant que le représentant de leur pays était massacré sous leurs yeux ? Rien. Ils semblaient paralysés et frappés de stupeur. Ici, M. Eyre ne peut contenir son indignation, et il s’écrie « Pas un coup de fusil ne fut tiré, pas un soldat ne bougea ; le meurtre d’un envoyé anglais fut accompli à la face et à portée de fusil d’une armée anglaise, et non-seulement on ne chercha pas à venger cet acte atroce, mais on laissa le corps, étendu dans la plaine, servir de trophée à une populace fanatique, et de parade sur un marché public. »