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L’escorte du sirdar emmena donc les femmes, les enfans, les officiers mariés, et plusieurs officiers blessés. Au nombre de ces derniers était M. Eyre, qui survécut ainsi pour raconter la triste destinée de ses compagnons. Nous retrouverons plus tard les prisonniers ; nous devons en ce moment suivre jusqu’au bout les restes de la malheureuse armée qui continuait sa marche.

Le 10 janvier, le jour se leva sur des scènes d’une désolation croissante. Dès que le signal de la marche eut été donné, les troupes se précipitèrent en avant dans le plus grand désordre, chacun craignant par-dessus tout d’être laissé en arrière. Il n’y avait plus, à ce moment, que les soldats européens qui fussent valides ; les Indiens avaient les mains et les pieds gelés, ils ne pouvaient plus tenir leurs armes, et le froid agissait sur eux de manière à les rendre fous. La terreur et le désespoir étaient sur tous les visages. L’avant-garde s’engagea dans une gorge étroite ; les Afghans, qui occupaient les hauteurs, la laissèrent s’approcher à portée de fusil, et ouvrirent tout à coup sur elle un feu terrible. Chaque coup portait sur cette masse serrée ; bientôt les morts et les mourans encombrèrent le passage, et ceux qui suivaient se trouvèrent arrêtés par ce rempart de cadavres. Les cipayes, désespérés, jetèrent leurs armes et se mirent à courir. La masse des suivans de camp se dispersa dans toutes les directions. Alors les Afghans descendirent le sabre à la main sur leurs victimes sans défense, et il y eut un massacre général. Les débris des troupes indiennes furent taillés en pièces. Cependant l’avant— garde avait fait une trouée et continué sa marche. Après avoir fait environ cinq milles, elle s’était arrêtée pour attendre l’arrière-garde, lorsqu’elle apprit avec stupeur, par quelques fugitifs échappés au carnage, que de toute la troupe qui s’était mise en mouvement le matin, elle seule avait survécu. Les suivans de camp formaient encore une masse assez considérable, mais de l’armée proprement dite, il ne restait que cinquante artilleurs et cent cinquante cavaliers.

Voyant approcher un parti d’ennemis, Le général Elphinstone fit aligner sa petite troupe, mais il reconnut le sirdar. Le capitaine Skinner alla de nouveau parlementer avec lui ; Mahomed-Akbar annonça qu’il ne pouvait plus retenir les Ghilzis, que son autorité était méconnue. Il demanda que les deux cents hommes qui restaient déposassent les armes, promettant de les conduire en sûreté jusqu’à Jellalabad ; quant aux suivans de camp, il déclara qu’il n’y avait plus d’autre alternative que de les abandonner à leur sort. Le général ne