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régimes, ont pu faire l’expérience personnelle de l’un et de l’autre. Tous ils avouent que leur classe est aujourd’hui mieux logée, mieux meublée, mieux vêtue. Le drap dans les habillemens a remplacé la grosse toile. On rencontre moins qu’autrefois des pieds et des jambes nus ; les sabots deviennent rares, les souliers les ont remplacés. Quand arrive un jour de fête, cette population des ateliers se confond par sa mise avec la classe bourgeoise, et semble en être une variété. L’alimentation est plus substantielle et plus abondante ; enfin, et c’est là une preuve décisive, la vie moyenne s’est accrue, et, dans l’intervalle d’un demi-siècle, on l’a vue s’élever de trente-cinq à quarante ans. On peut ajouter à ces divers indices le succès des caisses d’épargne et les réserves considérables qu’elles assurent désormais à l’ouvrier. Plus on ira, plus la situation de cette intéressante classe se dépouillera de ce qu’elle peut avoir de précaire. Avec l’aisance viendront la dignité, l’esprit d’ordre et de conduite, la tempérance, la régularité des mœurs. Le bien engendre le bien, comme le mal engendre le mal. Déjà cette amélioration graduelle serait plus sensible et plus manifeste, si, dans la voie du bien-être, les besoins ne s’accroissaient pas toujours en raison des jouissances, et si toute satisfaction n’était pas immédiatement suivie d’un désir nouveau. Que d’objets, autrefois de luxe, sont devenus pour l’ouvrier des objets de première nécessité ! que de raffinemens auxquels jamais il n’aurait cru atteindre, et qui sont aujourd’hui à sa portée ! Cependant cela ne suffit pas, car il est dans l’essence de l’homme d’aspirer toujours à plus qu’il ne possède. De là cette plainte éternelle qui ne cessera qu’avec l’humanité, et qui est aussi vieille que le monde.

Sous bien des rapports, les sociétés antérieures étaient donc en arrière de la société actuelle ; c’est un fait désormais hors de doute. Il y a eu dans le cours des siècles une suite d’acquisitions lentes et précieuses qui composent le lot de notre temps. Les civilisations se forment comme les terrains d’alluvion ; chaque âge y contribue et laisse plus qu’il n’a reçu. L’homme s’est ainsi ennobli de deux manières, moralement par une éducation chaque jour plus répandue, matériellement par un bien-être qui sans cesse tend à s’accroître. Le pouvoir, concentré d’abord dans quelques mains, s’est disséminé de manière à intéresser la classe moyenne admise à en régler l’exercice. Évidemment ce sont là des progrès, et, à ce spectacle, toute imputation de décadence tombe d’elle-même.

Le rôle du passé étant ainsi déterminé, il ne reste plus qu’à compter avec l’époque actuelle. En le faisant, il importe de se séparer de